ERREUR FATALE … !!! – 24/31

Du parapet du Pont-Neuf …

Meg et Jacky, immobiles, sans parler, regardaient la Seine.

Il est quatre heures du matin. Les fêtards sont rentrés se coucher et les laborieux ne sont pas encore levés. Les alentours sont silencieux, calmes, morts ! Seul le fantasque clapotis des vaguelettes, venant se briser sur la jetée de pierre formant la pointe de l’île de la Cité, défie le silence ! La pluie n’a pas cessé. L’inexistence du vent conforte les gouttes dans leur verticalité. Attirées par la planète bleue, les bulles d’eau chutent et s’écrasent. Certaines sur les pavés usés de la chaussée, d’autres, plus chanceuses, grossissent ce fleuve entêté, qui depuis des millénaires tente de faire déborder l’océan. Lors de l’impact, les perles liquides explosent, singeant le crépitement mécanique d’obsolescentes machines à écrire. Ce bruit, continu et régulier, se confond avec le silence. Amarrée le long des quais, la masse noire des péniches endormies ajoute à l’inquiétude de Jacky. Le flot coule, inexorable, en mesurant le temps, emportant les heures, les minutes et les secondes mais le laissant confronté à ses peines et ses craintes. Cette idée lui traversa l’esprit !

«Enjambe le garde-fou Jacky ! Enjambe, saute, plonge et oublie à jamais.»

Non… il tient trop à la vie et puis, contre son épaule droite, il y a la chaleur de Meg. Elle aussi est dans les vagues, celles de l’âme. Sa veste gorgée d’eau, boutonnée jusqu’au cou, la transit. Mais elle s’en moque. Son col, remonté sur sa nuque gracile, cherche refuge dans ses cheveux mouillés. Ses yeux glacés fixent l’horizon droit devant elle, mais, distinguent-ils seulement le pont des Arts ? Brouillés qu’ils sont par la bruine et les larmes. La main de Meg frotte son nez, le retrousse, elle renifle. Ses doigts tentent d’essuyer ses prunelles. Ses lèvres frémissent. Un tremblement parcoure son corps, ses dents s’entrechoquent à l’unisson avec celles de Jacky. Ils ont froid au corps et au cœur. Ils ferment les yeux et repensent à cette nuit …

Ils étaient agenouillés près de Tarlouse quand il a basculé vers un monde dit meilleur !

La stupeur passée, le premier réflexe de Jacky fut de mettre la main sur le serveur du Thermomètre. Celui qui était descendu aux chiottes, juste derrière Léonard Braqueux. En se relevant et en inspectant le troquet d’un mouvement circulaire de la tête, il eut juste le temps de le voir s’arracher du «rade» et obliquer vers le boulevard Voltaire. Il agrippa le poignet de la musaraigne et l’entraîna précipitamment sur les traces du décapsuleur de canettes. Ils sortirent de la brasserie au moment où notre gonze disparaissait à l’angle de l’avenue de la République. Meg, qui avait tout compris, ne se fit pas prier pour piquer un cent mètres. Le garçon de café traversa l’avenue et prit une voie à sa gauche. Ils débouchèrent sur ses talons dans la sombre rue de Malte, pour le voir ouvrir la portière d’une Fiat Tipo. Côté persuasion, Jacky était bien outillé, et Mister café crème prit dans les côtes le canon d’un des convaincants que l’inspecteur Wibert lui avait restitués. L’agression fut rapide. Leur homme n’étant pas un foudre de guerre, tout se passa pour le mieux.

– «Aboule les clefs de ta tire, bonhomme». Souffla Jacky à son oreille ».

– «Mais ?»

– «Il n’y a pas de mais ! Ou t’allonges les sésames… ou c’est moi qui t’allonge !»

Le canon, de son flingue, se fit plus présent dans son flanc et l’artiste accéda à sa requête. Il le poussa sur la banquette arrière et montait à son coté, tandis que Meg se glissa au volant. Il donna, à sa conductrice adorée, les clefs du véhicule et demanda à leur hôte involontaire :

– «Comment vous appelez-vous cher monsieur ? … »

Pas de réponse !

– «C’est un muet.» Ironisa Meg en se retournant et en s’agenouillant sur son siège, histoire de les regarder à loisir.

Elle n’avait pas l’air de péter l’feu la sarcelle. Les événements, de cette putain de nuit, ajoutés les uns aux autres commençaient à faire un beau paquetage. Un baluchon de plus en plus lourd à porter ! Looser qui veut la baiser avec un revolver, l’hôpital Georges Pompidou, le commissaire qui fut expédié « ad patres ». Elle le connaissait depuis pas mal de temps Tarlouse. Ils s’aimaient bien, tous les deux, et s’appréciaient. Non, vraiment, elle ne va pas fort, alors que lui … ben, c’est un peu pareil, mais il essaie de ne pas le montrer.

– «Ouais ! C’est un muet sans nom. Un anonyme aphone qui va mourir.» Raillait à son tour Jacky, en enfonçant son pote à six coups sous le menton du loufiat.

– «Collo, Claude Collo !» Articula précipitamment le préparateur en cirrhoses.

– «Ah! Bravo ! Il est devenu raisonnable le p’tit Claude. Écoute mon Collus ! Tu permets que je t’appelle Collus ? Réponds !»

– «Oui, oui ! Je permets. Que me voulez-vous ?»

– «Je veux que tu me dises où on va, mon Collus.»

– «Comment ça où on va ?»

– «Ben oui ! Tu es parti précipitamment du Thermomètre, tu essaies de monter dans une voiture, tu vas bien quelque part ? Comme nous on a envie de voyager avec toi, je te demande pour la dernière fois : Où allons-nous ?»

– « Je rentre chez moi.»

– «Ta petite femme t’attend ?»

– «Non.»

– «Ta maman, ton papa, ton chien, ton chat ?»

– «Non, je vis seul.»

– «Alors c’est parti !» Lança Meg sans enthousiasme en introduisant la clef de contact dans l’antivol. «Donne l’adresse et on décolle.»

– «Tu n’as pas entendu ma gentille camarade ? Je ne te situe pas, mon Claude, nous sommes plein d’attention à ton égard. Tu es fatigué ? Rien de plus normal après une dure journée de travail ! Nous on comprend, on se dit : «Il est crevé, on va le raccompagner» et toi, vilain garçon, tu fais la tête ! Tu ne réponds pas aux questions ! Tu files un mauvais coton mon Cloclo. Allez ! Reprends-toi ! Donne ton adresse à tes bons amis. Tu sais, il faut qu’on discute tous les trois. Chez toi, ça doit être tranquille !»

– «Mais qui êtes-vous ? Que voulez-vous savoir ?»

– «Ne te fais pas plus con que tu n’es, mon Claude. J’ai vu ton manège au café.»

– «Manège ! Quel manège ?»

– «Il faut tout t’expliquer, hein ? T’es un dur à la «comprenette» ? Il faut te mettre les points sur les i ? Alors écoute bien bonhomme, je narre, mais toi, après, tu racontes ! Tu es prêt ?»

-«Oui !»

– «OK ! Alors j’y vais ! Tu bosses dans une brasserie qui s’appelle le Thermomètre. Il y a un quart d’heure, à peine, un mec est entré dans le troquet, un mec connu du personnel, car le barman l’a servi sans qu’il ne demande rien. Le gus en question a bu son verre, puis il est descendu au sous-sol. Là, tu entres en scène, mon biquet. Tu poses ton plateau et tu descends à ton tour. Pour faire quoi ? Trois minutes plus tard, quand tu remontes juste après le type, c’est pour le voir tirer sur un quidam accoudé au bar. Je te signale en passant, que le quidam en train de refroidir était un commissaire de police. Enfin, passons, dès que tu vois ça, comme pris de panique, tu poses ton tablier, enfiles ta veste et prends tes jambes à ton cou. En plein service ? Ce n’est pas professionnel Cloclo. Non ! Vraiment, ce n’est pas très sérieux.»

– «Mon copain t’as bien expliqué ?» Reprend Meg. «Oui ? Alors, dans un premier temps, trois questions me viennent à l’esprit.

  • La première : qui est le gazier qui a flingué le commissaire Tarlouse ?
  • La deuxième : pourquoi l’as-tu suivi au sous-sol ?
  • La troisième : quelle est ton adresse ?»

Il est plus blanc que blanc, Claude Collo. Il donne l’impression qu’il va tourner de l’œil.

– «Alors ? Tu accouches ? » Reprit Jacky.

– «J’n’ peux pas.»

– «Tu ne peux pas quoi ?»

– «Parler ! Si je parle, je suis un homme mort ! Vous ne les connaissez pas !»

– «Oh que si ! Nous les connaissons,» répondit Meg, «on les connaît même très bien ! On sait de quoi ils sont capables. On a déjà eu l’occasion de juger ! Eddy, fouille monsieur Claude, il doit bien avoir un portefeuille.»

Jacky a commencé à palper le Cloclo. Dans une des poches de son pantalon, il a dégoté un trousseau de clefs et dans la poche intérieure de sa veste, il a trouvé son « morlingue ». Dans ce dernier, un paquet de billets de banque se serraient les uns contre les autres. La somme lui sembla d’importance et fit part à Collo de son étonnement. Le cave blêmit davantage, mais ne répondit pas. Intrigué, Jacky le regardait droit dans les yeux. le Cloclo ne put enrayer un geste réflexe. Sa main droite se porta au bas de son blazer, comme pour protéger ou s’assurer de la présence d’un objet. Jacky lui arracha son rase-pet et en tripotait la doublure. Bien vite, un renflement attira son attention. Avec les dents, il pratiquait une déchirure dans le mince tissu, libérant une vingtaine de petits sachets contenant une poudre, genre euphorisante.

– «Tu revends de la came ?» Siffla Meg. «C’est l’enfoiré qui a buté Tarlouse qui te fournit ? Parle ordure !»

Collo ne répondit pas, mais son silence valait des aveux. Dans son portefeuille, parmi divers papiers sans importance, se trouvait une carte d’identité récente, révélant que le marchand de blanche logeait au deux de la rue Chanzy, dans le onzième.

– «T’es pas assez loquace Collus !» Ragea Meg, «tu as tort car le tortue ! »

Elle ne croyait pas si bien dire, mais, n’anticipons pas. Le regard mauvais, elle récupéra les clefs de contact et sortit de la voiture. Jacky l’entendit ouvrir le coffre de la charrette, puis farfouiller dedans. Quelques instants plus tard, il la vit revenir avec du matériel qu’elle déposa sur le siège passager avant. Elle se saisit d’un rouleau d’adhésif, et entreprit, avec son aide, d’attacher les mains et les pieds de leur patient. Un autre bout de collant le bâillonna, puis, brandissant un long tournevis cruciforme et un marteau, Meg lui expliqua la règle du jeu.

– «Voilà Cloclo ! Sous ton sein gauche, j’appuie la pointe du tournevis. Avec le marteau, je tape plus ou moins fort sur le manche. Résultat ? Le tournevis s’enfonce d’un petit centimètre. Là, je m’arrête et je te regarde. Si tu ne me fais aucun signe, je redonne un coup de massette. Si tu fais oui de la tête, je retire le bâillon et tu parles. J’ai bien dit, si tu parles, surtout, tu ne cries pas. Tu dois avoir droit à sept ou huit essais, après, on attaque le cœur et tu diras bonjour au diable. Alors ? Tu as compris ? Tu veux raconter tout de suite ? Non ? Bon, comme tu voudras ! Essai number one !»

Meg ouvrit la chemise de Cloclo, et de l’index, chercha un espace entre ses côtes. L’ayant trouvé, elle y appuya la pointe du tournevis, puis donna un petit coup de marteau sur le manche du cruciforme. Le choc était trop faible, la pointe entra à peine dans les chairs. Les félins quinquets de Meg interrogèrent Collo. Claude ne bougea pas d’un pouce. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front, coulaient dans ses yeux apeurés et glissaient sur ses joues. Face à face, ces deux pauvres humains se défiaient du regard. La mâchoire de Meg se crispa et la massette s’abattit de nouveau. Cette fois-ci, le mouvement avait plus d’ampleur, l’impact fut plus rude, la pointe s’enfonça d’un bon centimètre. Jacky crut que Cloclo allait parler. Il attendait son hochement de tête, il l’espérait ! Il comprit trop tard que Claude Collo préférait mourir maintenant, sans trop souffrir. Balancer ses employeurs, c’était assurément passer de vie à trépas, mais moins agréablement qu’avec la musaraigne. Quand il saisit cette évidence, Cloclo était déjà presque mort. Il le vit contracter ses muscles et, d’un seul coup, projeter son buste vers l’avant. Meg, qui tenait fermement le tournevis, fut surprise et n’eut pas le réflexe de reculer l’outil. Collus s’embrocha jusqu’au cœur, son corps tressauta, puis s’affaissa inerte. Jacky prit les clefs et le portefeuille du défunt, puis, après avoir bien effacé leurs empreintes et sortit sa poinçonneuse hébétée de la Tipo, et partirent à pied, dans la nuit, sous la flotte.

Au début, il dut soutenir Meg, ses jambes la portaient à peine. Il eut beau lui dire que Cloclo s’était suicidé, elle se considérait responsable. Dans un sens, elle n’avait pas tout à fait tort. Comme des zombies, ils marchèrent à travers Paris, pour récupérer la chignole de Jacky. C’est à peine s’ils virent la rue Turbigo. D’un seul coup, le trou des Halles leur sauta au visage. Ils le traversèrent bras dessus, bras dessous, comme deux éméchés après une tempête de digestifs. Les rues des Prouvaires, du Roule et de la Monnaie, les conduisirent à la Samaritaine. Malgré l’heure tardive, ou plutôt précoce ! (dommage que le mot «tôtive» n’existe pas ! Tant pis, je le crée…) Malgré l’heure «tôtive», certains étages du magasin étaient éclairés. Sans doute pour des travaux d’aménagement qui, pendant la journée, dérangeraient les clients. Le client est roi et l’employé fait la reine ! Heureusement que par moments, l’employé devient client et vice versa. Ça rompt la monotonie. Ils franchirent le quai de la Mégisserie, puis ils enjambèrent un bras de Seine, aidés par la première volée du pont Neuf. L’île de la Cité juste passée, le parapet les attira. Ils distinguèrent à peine le square du Vert Galant.

Ils restèrent ainsi, accoudés à la rambarde de pierre, jusqu’à quatre heures passées.

A suivre …

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

28 réflexions sur « ERREUR FATALE … !!! – 24/31 »

  1. Megane n’y est pas allée de mains mortes c’est le moins que l’on puisse dire. Et voilà un témoin qui disparaît.

    On a affaire à des vilains vilains. Des méchants.

    J’attends la suite avec impatience.

    Douce nuit et bisous

    EvaJoe

  2. Dis donc, rien ne les arrête vraiment à ces deux-là, ils sont presque aussi mauvais que ceux qu’ils cherchent ! Enfin, ils ont un peu le blues, ce n’est pas trop tôt. (rires)
    Belle journée à toi.

  3. Bonjour Zaza .
    Hier on nous avait annoncé de la neige dans l’après midi et il a à peine fait une toute petite chute , même pas de quoi recouvrir le sol et ce matin , il fait beau et un peu plus chaud .
    Je te souhaite un bon Mercredi .
    Bisous de nous deux .

  4. J’aime beaucoup la poésie du premier paragraphe que l’on pourrait intitulé pluie sur le pont neuf.
    Que de morts depuis le début, mais nos héros sont sains et saufs, l’histoire peut continuer!
    Bises et belle journée Zaza

  5. Magnifique description de la Seine, de ses couleurs et des sensations de l’eau…
    Emotions à fleur de peau avec tes personnages que l’on aime profondément… Je suis très « accrochée » à Meg, elle est formidable et son alter ego masculin aussi.
    Tes mots nous rappellent le lourd tribut payé par les policiers sur le terrain et ailleurs, une profession que voulait faire Christophe et il s’en félicite aujourd’hui, il est devenu informaticien pour les Douanes. Heureusement, pas de terrain car les douaniers aussi payent un lourd tribut.
    Merci pour la captivante lecture, je te souhaite une belle journée
    Comment vas-tu? Pour ma part: retour à l’hôpital vendredi 13 où je dois essayer un nouveau protocole pour ma méningite… on verra bien!
    Gros bisous
    Cendrine

  6. Et bien quelle envolée. .. Tu as l’art de nous tenir en haleine. Je suis sous anxiolitiques pour me décontracter et essayer de calmer mes émotions… pas la peine de risquer un AVC. plein de gros bisous

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.