Jean et Marie-Jeanne – 1/3… !!!

A soixante-cinq ans bien tassés, le temps n’avait plus de prise sur Jean Creach.

Il avait perdu sa femme quatre mois plutôt, décédée d’une longue maladie comme on peut le lire parfois dans les journaux.
Et depuis ce jour, depuis le jour le plus triste de sa longue existence, il avait cessé de vivre au gré des heures qui défilent.
Il s’était installé dans un mutisme complet, s’isolant peu à peu de ses collègues, de ses amis, de ses voisins, de sa famille.
Il vivait replié sur lui-même, dans sa petite maison, située sur la commune de Plougoulm, dans notre belle région léonarde. Sous ce toit d’ardoises qui reflétait étrangement autant la couleur du ciel que l’amertume de son propriétaire, Jean avait perdu le goût des choses et la notion du temps.

Il avait ainsi laissé glisser les quatre derniers mois de sa vie jusqu’à ce qu’arrive enfin, l’heure d’une retraite bien méritée, mais qui ne pouvait malheureusement que l’isoler encore un peu plus.
Les sept premiers jours, il ne trouva pas le courage de sortir de chez lui. Il déambula en pyjama de la cuisine à la chambre, des dépendances au séjour.
C’était un peu comme s’il ne parvenait pas à trouver ses marques.
Il lui fallait maintenant reprendre possession de ces lieux, surtout qu’il allait dorénavant passer, dans cette maison, la majore partie de son existence.
A l’issue de ces sept premières journées d’un isolement le plus complet, il se décida enfin à sortir dans le jardin pour profiter de la chaleur des premiers rayons de soleil d’un printemps, qui cette année, se montrait fort tardif.
Sa maison se trouvait sur une butte. Des voisins, il n’en manquait pas. Sur sa droite, il y avait les Saoût, un couple d’une trentaine d’années avec deux enfants en bas âges et qui n’était là que depuis trois ans.
Sur sa gauche, habitaient les Scouarnec, des gens de sa génération, des gens biens, des amis sur lesquels Marie-Jeanne et lui avaient toujours pu compter dans les périodes difficiles.
Cependant, sur l’arrière de la maison, il n’y avait pas de vis à vis.

Il n’y avait plus que le l’herbe sur cette parcelle de terrain dans laquelle existait bien avant le décès de Marie-Jeanne, un superbe potager.
Jean faisait des envieux et il était fier, surtout pour ses  récoltes de carottes, d’oignons roses, d’échalotes et d’ail.
Combien de fois, lui et son épouse avaient pu rester à travailler, bêcher, engraisser la terre au goémon, semer et sarcler légumes et fleurs dans ce potager.

Aura-t-il encore le goût de reprendre cette activité potagère. Il ne saurait le dire.  Rien n’était moins sûr…
Le champ se prolongeait sur une centaine de mètre et bordait dans son autre extrémité un petit chemin longeant la rivière de l’Horn. On pouvait distinguer Plougoulm et l’embouchure de la rivière.
Du champ de Jean, il était possible de rejoindre le petit pont « Cantel » sur l’Horn.

Il jouissait d’un cadre de vie très agréable, cependant, son cœur demeurait si terne que ses yeux ne savaient plus voir la nature qui les entourait.
Il n’arrivait plus à distinguer la beauté des choses, c’était comme si un voile gris s’était posé devant son visage.
Le lendemain, Jean se décida à gravir les marches de l’escalier qui conduisait au grenier de la maison.
De tout temps, ces lieux étaient le domaine de Marie-Jeanne. Jean n’y avait plus mis les pieds depuis tant d’années.
Aussi, à peine eut-il ouvert la porte du grenier qu’il eut un mouvement de recul naturel ! Cela le fit presque basculer en arrière sur la dernière marche.
Depuis tout ce temps, il se doutait bien que ce devait être un sacré capharnaüm, mais de la part de Marie-jeanne, il ne s’attendait pas cependant à un tel foutoir.

Seule la poussière et peut-être les araignées semblaient s’y trouver bien à leur aise.
Sans s’en rendre compte son regard se posa machinalement sur une grande boite métallique posée dessus un vieux guéridon, à un mètre à peine de sa main droite.
Cette boite, Jean l’aurait reconnue parmi des millions.
Combien de fois lui et Marie-Jeanne ne l’avaient-ils pas ouverte depuis le jour de leur mariage ? Des dizaines, des centaines de fois peut-être…

Jean se fraya un chemin en déplaçant le vieux fauteuil en cuir difforme dans lequel il aimait tant se prélasser autrefois.
Dire que celui-là, Marie-Jeanne ne le supportait pas. Un jour, il était rentré du boulot et le fauteuil avait disparu. Sa femme avait acheté à son insu un salon neuf et lui avait dit que les livreurs étaient repartis avec l’ancien.
C’était peut-être là, la seule fois de sa vie qu’il en ait voulu, un tant soit peu, à son épouse. Sacrée Marie-Jeanne, pensa-t-il en contemplant le fauteuil, elle lui avait menti. Quand il pense que depuis tout ce temps, ce fauteuil se trouvait là, juste au-dessus de sa tête.
Jean parvint enfin à se saisir de la boîte.
Il revint s’asseoir dans son fauteuil fétiche, provoquant par la même occasion l’envolée d’un nuage de poussière.

Il posa délicatement la boîte sur ses cuisses et en souleva lentement le couvercle.
Elles étaient encore là !
Elles, c’était toutes ces vieilles photos en noir et blanc quelque peu jaunies par le temps, tous ces souvenirs de familles, parents et beaux-parents, toutes ces marques de près de quarante années de vie commune, tous ces moments de joie qu’ils avaient traversés ensemble.
Oui, uniquement tous les moments de joie, car personne ne photographie la peine…
De toute façon, si quelqu’un avait voulu il n’aurait pas pu.
Des moments de peine, il n’en avait jamais connu avec Marie-Jeanne.
Oui, que des moments de joie, pas de moments de peine, et pourtant dans la vie de Marie-Jeanne, il y avait quand même bien eut de la peine, une seule et grande peine, celle de n’avoir jamais pu avoir d’enfants.
Jean se mit à prendre les photographies une à une, délicatement, tout doucement, comme si c’était la main de Marie-Jeanne qu’il prenait dans la sienne.
Tantôt, l’une ou l’autre des photos le faisait pleurer.
Oh ! Ce n’était pas de la tristesse ! C’était juste le débordement de l’émotion que provoquait en lui cette remontée du temps vers l’origine de ses souvenirs.
Jean revisita tour à tour son mariage où il y avait bien peu de monde, ce qui n’était guère étonnant vu qu’ils étaient tous deux des enfants uniques.
Il s’émerveilla comme au premier jour en admirant la beauté de Marie-Jeanne dans sa robe de mariée !

A SUIVRE …

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

26 réflexions sur « Jean et Marie-Jeanne – 1/3… !!! »

  1. C’est très émouvant, on est happés par le fil de l’histoire, entre souvenirs et sensations de l’instant présent
    Un bien joli texte, merci ma Zaza pour ce récit poignant
    Gros bisous et une douce journée
    Cendrine

  2. …quelle émotion en lisant ta page! des souvenirs qui reviennent, un peu de vie d’autrefois….
    Bises du jour
    Mireille du sablon

  3. Les souvenirs refluent et le voilà si ému le pauvre Jean dans ce capgharna

    Tant de souvenirs refluent jusqu’à son âme meurtrie et solitaire, il suffit de quelques photos ….
    Bises de Zoupie

  4. C’est vraiment très beau, une vie entière à 2, et puis la solitude, c’est terrible.
    Vivement la suite.
    très belle journée, bises
    danièle

  5. Beaucoup émotion en lisant ce texte.. de cette vie à deux qui s’arrêt au moment de la perte de l’autre..qui défile de nouveau avec la découverte de ses photos… Bonne journée zaza..Bises……

  6. Bonjour Zaza,
    Beau texte sur cette vie de couple que la mort a séparé . Triste , mais très émouvant ….
    à suivre
    Bonne fin de journée
    Amitiés

  7. Fourniras -tu les mouchoirs si cela continue ainsi !!!!!
    Tout autre chose j’aime le prénom choisi , j’ai regardé il peut être porté pas les deux sexes , en tout cas j’aime beaucoup, vivement le printemps que tu pouponnes , bon lundi ma belle voyons si on me remarque doublon je n’y comprends rien chez toi ton blog est le seul à faire des caprices bisous

  8. Perdre sa compagne(ou son compagnon) lorsqu’on arrive à un certain âge, c’est très sur.Je crois que les hommes ont plus de mal que les femmes à s’en remettre.
    C’est une belle histoire triste . Les vieilles photos, j’adore …
    bISOUS

  9. C ‘est tout à fait cela, ma chère Zaza, et tu vas nous faire pleurer…Mais, je crois qu’il doit y avoir autre chose dans cette boîte… Gros bisous et douce journée

  10. ça sent les découvertes qu’il va sans aucun doute encore faire…que vas t-il trouvé peut-être pas que des clichés….je me demande vraiment. Bisoussssss

  11. Grande et double émotion ( M & Mme Yves Creach sont de mes amis : sans doute des parents de ton Creach !) Je vais attendre la suite de ton récit … Passe une très bonne soirée . Cordiales amitiés & à +

  12. bravo Zaza, une fort belle histoire, je comprends un peu ce Jean, la retraite , la mort de sa femme, ce n’est pas facile d’y faire face, on se replie forcement sur soi meme ! ne pas avoir eu d’enfants, est un grand manque, que va t il decouvrir dans ce grenier ? où il ne devait pas aller souvent !! bonne soiree , bisous

  13. Là pas besoin d’événements, de rebondissements, ton écriture est plus sensible. Et invariablement, en nous surgissent des souvenirs. Ceux du fauteuil de mémé nénette, du nôtre (mais lui une imitation d’aujourd’hui). Aujourd’hui tout est fait pour que nous soyons ‘mode’ . Beaucoup de soixantenaires changent leurs meubles.. finalement j’accepte d’être démodée. Nous créons de l’histoire pour nos petits enfants. Bises et bonne journée

  14. Voici ,un texte riche qui nous dévoile le lieu où vit cet homme, des éléments de sa vie, et une certaine boîte où il va certainement découvrir autre chose, ce que ne manquera pas de nous apprendre le prochain chapitre de cette histoire à suspense… Chris

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