Le poème du grand-oncle – 1/2 … !!!

Ces mots de Yann Le Guaourec résonnent ce matin dans ma tête.

« La descendance et la naissance d’un enfant
Tisse les liens familiaux et apporte un cœur aux parents,

Révèle responsabilité et sagesse des grands,
Donne un sens à la vie des errants,
Tout en cultivant une mémoire d’éléphant. »

Vous n’avez sans doute jamais entendu parler de Yann Le Guaourec, c’était mon grand-oncle. Il aurait pu vivre cent ans mais il est décédé par un matin de juin 1918, emporté par une balle de fabrication allemande.

Il n’avait rien laissé à mes parents, ses seuls héritiers, excepté cette photo de ces compagnons du 63ème Régiment d’Artillerie Anti Aérienne prise en 1915, le violoncelle fait de bric et de broc retrouvé à côté de son corps gisant, et ces vers qu’il avait griffonnés de sa main au dos du bulletin de naissance de mon père Jean-Baptiste. Ce bulletin je l’avais dans la main.
Je l’avais à maintes et maintes reprises lu et relu au point qu’il en était usé de tant de sollicitude.
Je connaissais ces vers par cœur, mais je ne me lassais pas de les relire.
Je crois que c’est seulement ce matin que j’en ai compris tout le sens.
Depuis une heure, je suis maman d’une petite fille.

En mémoire de ce grand-oncle, je l’ai prénommée Yannig.
Depuis une heure, mon cœur s’est illuminé. Ma vie a pour but la mémoire qui me revient…

… Je me souviens de ce matin d’avril 1962, j’avais dix ans.
J’étais élève de sixième au Lycée Félix Le Dantec de Lannion dans les anciennes Côtes du Nord (maintenant appelées Côtes d’Armor).

Il a bien changé ce bon vieux lycée et au moment où je regroupe mes souvenirs. Je revois ce passage vouté qui existait déjà en 1962.
Nous étions le 17 du mois et c’était un mardi. Il faisait beau, mais nous étions enfermés à suivre une leçon de mathématique quand le Proviseur du lycée vint frapper à la porte de la classe.
Mme Le Gall, notre professeur principal, alla ouvrir au Proviseur.
Ils restèrent un instant à discuter sur le pas de la porte. Je les distinguais à peine. Ils se trouvaient en plein dans l’axe du soleil et les rayons de ce dernier formaient autour d’eux un halo aveuglant.
Je n’y voyais plus, la lueur avait brouillé ma vue d’un arc-en-ciel de couleurs, rouge, mauve, orange. Ce n’est qu’en entendant la voix de Mme Le Gall que je me rendis compte qu’elle s’était approchée de moi.
– « Anne, prends tes affaires s’il te plaît, il faut que tu ailles avec Monsieur le Proviseur. »
J’ai rangé machinalement mes livres et mes cahiers dans mon cartable.
Sa voix était étrange, et résonnait bizarrement. On aurait dit qu’elle tremblait, qu’elle se perdait, qu’elle pleurait presque.
Je suis sortie de la classe sous les regards hébétés de mes camarades. Monsieur le Proviseur me demanda de la suivre jusqu’à son bureau. Mme Auffret, notre voisine nous y attendait.
– « Bonjour Mme Auffret. » lançai-je machinalement.
Mme Auffret ne put me répondre, elle éclata en sanglots.
– « Il va falloir être courageuse ma petite Anne. » me dit le Proviseur d’une voix que je ne lui connaissais pas.
Je ne comprenais pas ce qu’il voulait me dire.
Mme Auffret put finalement me parler.
– « Ton papa et ta maman ont eu un accident ce matin. Ils sont partis au ciel. Nous ne les reverrons plus. »

Je ne sais pas si j’ai réalisé le poids de ses paroles. Je ne pleurais pas. Je ne disais rien. Mon regard était absent, perdu entre le bureau du Proviseur et le portrait du Grand Charles accroché au mur juste derrière. Les bras ballants, mon cartable ne touchait pas terre. J’errais dans cet espace vide, où le temps et le lieu n’avaient plus d’importance.
Je ne garde bizarrement aucun souvenir précis des obsèques de mes parents comme si cet état second s’était poursuivi plusieurs jours.
Ma mémoire s’était perdue dans le labyrinthe de mes pensées. Je crois qu’il devait y avoir beaucoup de monde ou du moins je l’espère !
Cependant notre famille était la plus restreinte possible. Mes grands-parents étaient décédés. Ma mère était fille unique. J’étais fille unique. Il ne me restait que l’oncle Louis, le frère de mon père, et ma chatte Chipie.

Je ne suis sortie de ce brouillard qu’à la sortie du cimetière. Je me tenais près de l’oncle Louis. Allez donc savoir pourquoi, je lui ai pris la main.
Nous sommes rentrés à pieds en redescendant les escaliers.
La maison qui se trouvait à un bon kilomètre de la petite église et du cimetière de Brélévenez.

Les voisins étaient venus là, à discuter de tout et de rien autour d’un café, d’un verre de vin et de quelques galettes pur beurre.
Je n’ai lâché la main d’oncle Louis qu’en voyant Chipie venir à la maison.
Je lui ai mis quelques croquettes dans un bol et un peu de lait dans l’autre.
Monsieur la Proviseur était là aussi.
Il discutait avec l’oncle Louis.
– « Que va devenir l’enfant ? » lui demanda-t-il.
– « Vous êtes son seul parent, vous devez vous en occuper. » lui répondit-il.
– « Mais vous savez bien que c’est impossible. Je ne saurais jamais, surtout avec une gamine de 10 ans. Je n’ai aucune compétence pour élever un enfant. Et puis…. je suis trop occupé. Non ce n’est pas possible. »
– « Les voix du seigneur sont impénétrables mon frère. S’il a voulu qu’il en soit ainsi, c’est qu’il a de bonnes raisons. »
Le lendemain je me suis donc retrouvée assise dans la voiture de mon oncle avec la chatte Chipie sur mes genoux.
Mon oncle vivait dans le nord Finistère, un petit village de quatre mille âmes du nom de Plouigneau.
Oncle Louis était en réalité l’Abbé Jean-Louis. C’était le curé de ce petit village du pays léonard.
Nous avons traversé des champs d’artichauts à perte de vue. Les yeux m’en sortaient de la tête, je ne connaissais pas le pays léonard.

Mon père blaguait souvent et cette citation me revenait à l’esprit :

« Connaissez-vous la différence entre un crabe léonard et les autres crabes bretons ?
Par économie, un crabe léonard, une fois qu’il est cuit, n’oublie jamais d’éteindre le gaz. »

Ce que m’avait surtout dit mon père, c’est que les curés de ce pays avaient la réputation d’être les plus stricts du monde.
Les autres bretons aiment se moquer de ces léonards qui ont une Bible dans la main droite et la main gauche dans la poche.  Le Léonard est réputé très religieux, conservateur, avare et doué d’un bon esprit d’entreprise, ce qui n’est pas le cas de ses voisins réputés plus laxistes et bons vivants.
On ne plaisantait pas avec la religion en pays léonard !
Dans le milieu des années 50, les femmes qui venaient d’accoucher devaient encore aller à l’église se faire pardonner d’avoir commis le pêché de chair.

Croquis église Pouigneau

Ils appelaient ça le rituel des relevailles, et ma mère bien qu’issue de parents GALLO, (Ille et Vilaine), avait dû s’en acquitter auprès de l’oncle Louis afin de ne pas créer un incident de famille.
La petite 4 chevaux de l’oncle Louis s’arrêta dans la cour du presbytère.
L’Abbé rejoignit Jeanne qui nous attendait sur le pas de la porte.

C’était un petit bout de bonne femme d’1m45 pour 50 kilos.
A mes yeux Jeanne paraissait horriblement vieille. Elle ne devait cependant guère avoir plus de 55 ans.
– « Bonjour monsieur le curé. » dit-elle.
– « Bonjour Jeanne, je te présente Anne, ma nièce. A partir d’aujourd’hui Anne va habiter avec nous. »
Jeanne avait les yeux remplis d’une joie attristée.
– « Bonjour Anne, je m’appelle Jeanne. » me dit-elle.
– « Bonjour Jeanne. »
– « Tu as fait bon voyage ? »
– « Oui Madame. »
– « Oh ne m’appelle pas madame, Anne. Appelle-moi Jeanne. Tu veux bien ? »
– « Euh ! Oui Jeanne. »
– « Mais qu’est-ce que tu as dans les bras ? C’est un petit chat ? »
– « Non, c’est une chatte, elle s’appelle Chipie. »
– « Bonjour Chipie. Je peux la caresser ? »
– « Je ne sais pas Jeanne. D’habitude elle n’aime pas de trop les étrangers. » Répondis-je en regardant sur la main droite d’oncle Louis la fraîche griffure qui avait failli nous envoyer au fossé entre Guerlesquin et Le Ponthou.
Jeanne caressa Chipie qui se mit à ronronner.
J’en fus toute étonnée et à partir de cet instant Jeanne eut toute ma confiance. Chipie était mon révélateur de la bonté des gens.
Le presbytère était fidèle à la doctrine de l’oncle Louis. Tout ce qui pouvait faire penser au luxe en avait été banni.
De plain-pied une grande pièce avec une table et ses 6 chaises, un vaisselier et une grande cheminée où Jeanne préparait le repas.
Cette cheminée était le seul et unique moyen de chauffage du logement, mais les murs du presbytère étaient épais.
En face, un escalier de bois foncé permettait d’accéder à l’étage.
A l’étage, il y avait deux chambres : 

La chambre de Jeanne,

La chambre de l’abbé,

Et un grenier dans lequel Jeanne avait fait un peu de rangement pour y aménager un coin avec un lit et une table de chevet :

Ma chambre

C’était donc mon nouveau domaine.
Je ne disais rien, mais la route avait été bien longue. Je me retenais en serrant de plus en plus les jambes.
– « Cela te plaît ? » me demanda Jeanne.
Je ne répondis pas.
– « Il y a quelque chose qui ne va pas Anne ? » me demanda-t-elle.
En guise de réponse je lui ai tiré discrètement sur la blouse. Elle se pencha pour approcher son oreille de ma bouche. Je lui ai murmuré le plus bas possible :
– « Où c’est qu’on fait pipi ? »
Jeanne se mit à rire.
Son rire était très expressif et tellement communicatif que je vis pour la première fois l’ombre d’une esquisse de sourire sur le visage de mon oncle.
Nous descendîmes les escaliers et nous nous rendîmes derrière la maison jusqu’à une petite cabane en bois, plantée au fond du jardin, non loin du potager où poussaient salades, carottes, navets, poireaux,  pommes de terre….

Je me sentais déjà mieux, bien que je me demandais comment j’allais faire en pleine nuit pour arriver jusque-là sans me faire dévorer par les loups !
Le lundi suivant Jeanne me conduisit à l’école Sainte Marie de Plouigneau où je découvris mes nouveaux camarades.

Il y avait Antoinette, la fille du boulanger, Pauline et Stéphanie avec qui je fis plus tard les 400 coups et que je revois encore, mais de moins en moins souvent. Il a bien changé notre école Sainte Marie depuis ce temps !
La classe se voulait la même qu’à Lannion.
Les méthodes de cette école, ne différenciaient guère de celles du lycée le Dantec et de Mme Le Gall, mon professeur principal.
La cour de récréation ressemblait à toutes les cours de récréation. Le préau ressemblait à tous les préaux. Si ce n’est que nous nous y retrouvions plus souvent.

A SUIVRE …

Petite précision : Eu égard certains commentaires, même si mon héroïne s’appelle Anne, il ne s’agit pas de mon autobiographie. Par contre, cette histoire, légèrement romancée, est arrivée à l’une de mes camarades de classe, dans mon année de 6ème, lorsque je fréquentais le lycée Le Dantec de Lannion, quand mes parents travaillaient au C.N.ET.

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

37 réflexions sur « Le poème du grand-oncle – 1/2 … !!! »

  1. Il est de ces destins ma foi… qui vous laissent seul, seule au monde, ou presque… les cieux sont sans pitié, ôter la vie à un papa et une maman et l’enfant ou les enfants sont confiés ça et là, on croisant les doigts qu’il, ils soient bien… à suivre, bises

  2. Beaucoup d’émotion en ce récit, des lignes de vie, des ombres et des lumières familiales, le Destin qui donne, prend, reprend, redonne autrement…
    Une fort belle écriture, merci ma Zaza et les images sont très bien choisies
    Douce et belle journée à venir avec de gros bisous
    Cendrine

  3. Oups j’ai des peines à m’arracher de ton touchant récit
    C’est triste, c’est juste
    Et déjà je note ton fort caractère
    Je vais revenir pour la suite !
    Bisous
    @ demain

  4. Un triste récit, comment faire pour se reconstruire après de tels événements, heureusement que des gens aimants sont là.

    Bonne journée, bises
    danièle

  5. Coucou, j’attends la suite de cette histoire accompagnée de photos d’époque…bonne journée Zaza….
    Le vent souffle ici aussi…
    Bises
    @.

  6. Bonjour,

    C’est un récit extrêmement émouvant. Cette Jeanne a l’air d’un beau personnage et semble avoir été une figure rassurante pour toi.

    L’histoire du grand-oncle me rappelle celle de mon grand-père qui aurait pu avoir le même destin : lui aussi a reçu une balle allemande une semaine avant l’armistice. Mais cette balle a ricoché sur la crosse d’un pistolet qu’il portait à la taille. Ça l’a sauvé, et nous possédons toujours cette arme à la maison.

    Bonne journée.
    Bises.

  7. Beau récit empreint d’émotion et de vécu. On peut rigoler et pondre aussi des articles graves, ce n’est pas incompatible. Je t’embrasse très fort. Tu écris bien.

  8. Bonjour Zaza
    Un beau récit de la vie d’une petite orpheline d’un seul coup du sort et qui découvre sa nouvelle vie
    Belle journée
    Bisous le soleil illumine le petit triangle qui s’ouvre sur le ciel depuis mon jardin-patio celui où Ondine prend son bain de soleil matinal

  9. Bonjour Zaza,
    C’était une histoire bien triste , très prenante ….avec ce malheureux destin d’orphelin . A suivre
    bonne fin de journée
    Amitiés

  10. Encore une fois tu nous enveloppes dans ton récit, ma chère Zaza. De l’émotion pure et j’attends la suite avec une grande impatience. Gros bisous, mouillés ce matin. Belle journée pour toi.

  11. tres touchante cette histoire, perdre ses deux parents le meme jour, c’est vraiment cruel, heureusement il y a l’oncle Louis et sa servante Jeanne, que ça doit donc etre difficile pour une jeune enfant d’encaisser ça ! avec les vers de du grand oncle nous sommes gâtés par cette histoire bien contée, merci Zaza bonne semaine, bisous

  12. Beaucoup d’émotion ds ton récit un peu triste j’aime beaucoup tes illustrations bonne journée M
    à zaza gros bisous

  13. Voyons les nouvelles pérégrinations d’ANNE qui débute bien mal sa toute jeune vie !!! mais avec ZAZA tout est possible !!! bonne semaine ma douce big bisous

  14. Quel récit émouvant ! Mais est-il autobiographique, ou bien imaginaire ? En tous cas c’est une bien triste histoire, et j’ai connu une, non : deux familles dont les parents sont morts dans un accident et les enfants sont subitement devenus orphelins. Quelle douleur ! Et moi qui ai perdu un fils… bref… il faut rester positif ! Chris

  15. Une histoire bien triste.Cela a dû être terrible pour ta camarade .
    Mais je pense que la petite Anne va trouver un peu de tendresse dans sa nouvelle vie.bISOUS

  16. c’est un peu l’histoire de Quichottine. Triste moment de perdre ces parents ensemble. En lisant ton récit, mon coeur se serre.
    Chipie était mon révélateur de la bonté des gens.
    Chez nous c’est Djinnie … Quand je la vois fêter certaines personnes , je révise ma façon de les voir. Certaines personnes peuvent décevoir mais au fond, ils sont bons.
    Bises

  17. Bonjour Zaza,
    Au début j’ai cru qu’il s’agissait de ‘ton’ histoire… La petite précision en rouge m’a éclairée.
    A cette époque, combien d’enfants ont dû vivre une histoire similaire ???
    Bonne journée, bisous

  18. J’ai eu des frissons en parcourant ce chemin si triste de l’enfance Zaza …. heureux sont les enfants qui ont le bonheur de côtoyer parents et grands parents jusqu’à leur grand âge … il est vrai que la guerre et la destinée interviennent grandement dans le devenir adulte des enfants !
    Mes bises hivernales de ma campagne ch’ti où j’ai eu grand plaisir à te lire Zaza !
    Belle semaine par chez toi !
    Nicole

  19. J’aurais aussi pensé qu’il s’agissait de toi, heureusement que tu as ajouté un ps à ta page…
    Quel beau récit !
    Merci pour ce partage, ma Zaza.
    Bisous et douce journée.

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