Rencontre inattendue … !!!

nid des mots

Notre amie ABC, ICI, nous propose dans sa communauté « Le nid des mots » le thème

« Une rencontre inattendue à la montagne »

Les cimes enneigées du Tibet népalais toisaient le village et les voiles de fées s’étiraient dans les vents d’altitude. Les tempêtes arrachaient jour et nuit les cristaux de glace des sommets de l’Himalaya.

village gurungDans ce petit village Gurung, les maisons se tenaient chaud, collées les unes aux autres, seulement traversées par des ruelles étroites où l’eau avait creusé des rigoles. Ameesh, aîné de la fratrie, courait pieds nus dans les sillons à la belle saison, tirait souvent, avec ses petits frères, l’araire en bois de son père, courbé sur ses plants de riz.

Une fois dans la maison familiale, il observait sa mère occupée à la préparation du Dal bhat, plat unique des paysans d’où exhalait un parfum de riz et de lentilles. Ameesh suivait la vie de la maisonnée. Quelques planches de bois sommairement ajustées, une natte de pailles de riz tressées, tout juste assez de place pour replier ses jambes pendant la nuit. C’était toute sa vie d’enfant népalais. Il rangeait son sac d’école en toile, ses habits et menus secrets entre les poteaux de bois qui soutenaient son petit lit de fortune.
– « Tu rentreras de l’école sans tarder ce soir, sinon le Yéti t’attrapera », expliquait sa maman. Elle ne voulait surtout pas qu’Ameesh s’égare à la nuit tombante avec ses copains de classe dans quelques jeux sur les hauteurs du village.

Ces histoires de Yéti… des balivernes sans doute, se disait-il. Le yéti menaçant de croquer les enfants ! Personne ne l’avait jamais vu, ce devait être une menace pratique pour faire obéir les enfants …

Il avait grandi avec cette légende et à son âge, maintenant, on ne croit plus aveuglément la parole des adultes. A cet âge on doute ! Et même s’il existait, il faudrait qu’il le voit ! Cette collusion des adultes pour lui faire peur avec le grand singe des sommets l’agaçait.

Au sortir de l’école, il fourra son sac de toile contenant cahier et crayon de bois, sous le tas de bûches adossé au mur de la maison et esquiva les regards pour gagner le sentier escarpé derrière le temple. Il avait préparé son coup, avait dans sa poche deux boules de Dal bhat enveloppées dans des feuilles odorantes, des biscuits, des habits chauds, une vague couverture dans un sac et comptait passer la nuit dans la montagne, pour voir de ses propres yeux cette énigmatique bête infâme.

Un petit macaque vint tourner autour de lui. Il sortit un morceau de biscuit entamé à la récréation et lui tendit.

– « Dis-moi le singe, connais-tu le yéti ? ». La petite bête vola le biscuit d’une main habile et s’enfuit en poussant des cris apeurés.

Décidément, les adultes du village et même les singes des environs avaient dû se donner le mot pour effrayer les enfants. Les pentes rocailleuses et les arbustes laissaient place, peu à peu, à la neige et à la glace. Ameesh entrait dans le royaume des « altitudes », le domaine des flocons et des cristaux. Ses pieds laissaient dans la couche immaculée des trous profonds qui trahissaient sa présence. Si le yéti existait et s’il devait passer par là, il ne manquerait pas de le repérer.

Et s’il était aussi méchant qu’on le disait ? Son cœur se serra un peu …

Ses parents devaient s’inquiéter. Il s’abrita dans une anfractuosité, mangea sa boule de riz incrustée de quelques lentilles. Jamais le plat national népalais, préparé par sa maman, ne lui parut aussi bon que ce soir-là. Le chemin dans la neige l’avait épuisé. Il s’endormit là, hors de la vue des hommes, roulé dans une couverture sommaire. Il ne craignait pas sa première nuit, seul en montagne. Il était fils de sherpa après tout ! Avec son père il avait déjà maintes fois dormi dans une caverne en allumant un feu de fortune. Il reprit les gestes appris durant son enfance, rassembla quelques brindilles, des mousses et des lichens d’altitude pour allumer une petite flamme.

Ce devait être l’heure d’aller à l’école, car il s’éveilla d’un coup et se glissa hors de sa cachette. Les averses de la nuit avaient recouvert ses traces mais d’autres creux dans la neige, tout frais, constellaient les alentours, des traces monumentales ! Il les contempla avec incrédulité, les suivit, imaginant voir au loin la créature autant inattendue que redoutée. Il eut aussi un frémissement à l’idée de ce grand singe passé tout près de lui pendant qu’il dormait.

yéti

– « C’est moi que tu cherches petit homme ? »

Ameesh sursauta, tomba à la renverse dans la neige, se redressa sur ses coudes, ébahi, à la merci du yéti planté là devant lui, immense, avec sa haute stature se découpant sur le ciel enneigé.

– « Personne ne t’a jamais dit qu’on ne s’égare pas tout seul dans la montagne ? ». Le monstre parlait …

 – « Je ne pensais pas vous rencontrer », balbutia Ameesh.

– « Tu ne manques pas de courage petit garçon. Ce ne sont pas les hommes qui me cherchent, c’est moi qui les trouve. »

-« C’est pour ça que personne ne vous a jamais vu ? »

-« Tu apprendras que je n’apparais qu’à ceux qui ont su écouter la légende racontée par les anciens, dans leur enfance, même s’ils doutent en grandissant. Je suis le reflet de leurs idées les plus sombres ou les plus merveilleuses, je suis comme ils m’imaginent ».

yéti

Ameesh ne saisit pas les mots du yéti, mais avec l’homme des neiges, ils se comprirent sans vraiment savoir pourquoi. Jamais il n’avait envisagé la créature comme un mangeur d’enfant et elle était aussi bienveillante que l’esprit des bonzes. Il resta juste interdit, rassuré par les gestes tranquilles du grand singe, hypnotisé par le regard sombre, les orbites proéminentes et les larges mains à la force inimaginable. Il accompagna la créature jusqu’à un abri de roche, sec et chaleureux. Quelques braises rougeoyaient entre des pierres. Le yéti attrapa Ameesh contre lui, le blottit dans son épaisse toison, bien au chaud, puis il parla longtemps de la montagne, du grondement des voiles de fées, des hommes qu’il apercevait soufflant dans les trompes du Tibet. Il les évitait soigneusement… Ameesh sentit battre ses paupières, une fatigue monta en lui, une émotion l’emporta.

Il s’éveilla, il faisait jour. En était-on au soir de la rencontre avec l’homme des neiges, avait-il passé là plusieurs nuits, avait-il rêvé ? Les braises étaient mortes entre les pierres, il était seul,  avait froid et faim. Il pensa à ses parents, reprit le chemin du village, marcha pensif, suivant la pente, se guidant avec les formes des crêtes et des rochers. Le jour tombait quand il arriva aux maisons de terre et de bois. Il dévala la ruelle jusque chez lui. 

– « Cet enfant nous fera vieillir avant l’âge », se lamenta sa mère.
Le père le prit à part.
-« Tu nous as fait faire du souci, qu’es-tu parti chercher dans la montagne, la même chose que nous tous ? », demanda son père d’un air goguenard.
Ameesh baissa la tête. Il n’y avait pas la moindre colère dans le ton paternel. Il le savait fort capable de survivre seul à plusieurs nuits en montagne et n’insista pas plus que cela.
-« Tu n’as trouvé que la peur du noir, la faim et le froid… Tu es devenu trop grand pour rester dans ce village et jouer avec les gamins sur la place. Il est temps que tu deviennes un jeune homme, que tu apprennes la vie, la ville et les lois de ce royaume ».

L’enfant comprit qu’il allait partir. Sa mère le coiffa mieux qu’à l’habitude. Les fers de fonte posés sur les braises avaient laissé son uniforme d’écolier lisse et propre. Dans son sac, quelques affaires soigneusement apprêtées et de menus objets le rattacheraient encore à son enfance. Sa mère le serra dans ses bras, l’embrassa encore et encore. Elle avait les yeux tout mouillés, mais le poussa hors de la maison.

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

36 réflexions sur « Rencontre inattendue … !!! »

  1. Quelle superbe histoire!
    Une rencontre magnifique et poignante entre le jeune héros, aux portes de l’initiation vers l’âge adulte et l’incarnation des forces de la Nature, créature mythique qui titille nos imaginations débordantes…
    Avec des mots si beaux… je vais rêver de « voiles de fées » et caresser en pensée ces cristaux himalayens qui brillent de mille couleurs…
    Un grand merci ma Zaza, gros bisous, amitiés
    Cendrine

  2. tous n’arrivent pas à passer ce moment, qui n’est pas évident…..mais ce que je retiens ce sont ces enfants qui parfois font des kms pour aller à l’école, là chapeau….passe une bien douce journée

  3. Bonjour ma petite Zaza…C’est une belle histoire mais….
    Je suis venue te faire un ti coucou et t’offrir toute mon amitié en cette journée qui s’annonce plutôt humide, il y a encore une armada de nuages pour l’instant mais ils annoncent un peu de soleil et il fait beaucoup moins froid, il ne gèle plus
    Je te souhaite un magnifique samedi.. ♥

  4. Superbe histoire Zaza , je me suis régalée en te lisant ce matin . Dire adieu à l’enfance , une étape cruciale pour les petits des hommes .
    Bises

  5. superbe ce récit, merci chère Zaza, l’initiation de cet enfants nepalais, sa rencontre avec le Yeti est de toute beauté, souhaitons lui de reussir sa vie ! bon wekend chere Zaza bisous

  6. Un beau récit, la fin de l’enfance…
    Les enfants doivent quitter le foyer et il faut bien s’y préparer quand on est parent, c’est souvent une déchirure…
    Bisous Zaza

  7. je suis scotchée ! toi quand tu racontes une histoire ça vaut son pesant d’or ! tu en sais des choses ….bravo mon amie et merci pour m’avoir fait « rentrer » dans ton conte !
    bisous

  8. Un très beau conte Zaza. Tu me fais penser à un film que j’ai vu il y a quelques années déjà au festival du film de la Rochelle. Sagesse des légendes du monde entier …
    bises et belle fin de semaine
    Ici grand bleu et soleil même s’il fait froid.

  9. Bonjour Zaza.
    Chez nous il fait une belle journée mais il fait toujours aussi froid.
    Ce matin il faisait moins 8° et cet après midi le thermomètre a du mal a afficher plus 3°.
    J’espère pour toi qu’il fasse plus chaud et je te souhaite un bon week-end.
    Bisous de nous deux.

  10. Magnifique récit… Cette rencontre incroyable est absolument merveilleuse, j’ai adoré !
    Tu es une conteuse géniale, mais, ça, je le savais. :)
    Gros bisous et douce journée.

  11. je te redemande encore une fois…pourquoi tu ne publies pas? Des contes pour enfants? tu peux proposer aussi à une chaine TV pour enfants! bisous ma Zaza…

  12. Quel superbe moment que celui du passage si important dans la vie de l’humain. C’est beau et si bien décrit. Comme d’hab tes talents de conteuse nous emportent dans un ailleurs plein de poésie. Merci. Bisous

  13. Quelle belle histoire, le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait au travers de cette légende..
    Bises de Mireille du sablon

  14. Je ne savais pas que le yéti pouvait être différent selon ceux qui le rencontraient, c’est très positif et encourageant… lorsqu’il faut un jour passer de l’enfance à l’âge adulte ! Chris

  15. Bonjour ma petite Zaza…Je suis passe te faire un petit coucou !….C’est un ciel gris chez nous aujourd’hui et chez toi c’est comment ?
    J’espère de tout mon cœur que tu vas bien, je te souhaite une bonne et heureuse journée dominicale et, t’envoie de douces pensées amicales ♥

  16. Une très belle histoire ..On se demande si l’enfant a vraiment rencontré le yéti ou s’il a tout simplement rêvé. C’est une vie très rude dans ces hautes montagnes . Bisous

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