Le syndrome de la page blanche … !!! – 2/3

Le libraire qui devint écrivain !

Deuxième partie

Comme chaque matin, avant de lever le rideau de fer, Michel s’arrêta devant la vitrine pour y jeter un rapide coup d’œil. Il vérifiait l’impeccable disposition des livres alignés dans les rayonnages, remettait de l’ordre sur les tables. Il ne s’agissait surtout pas de présenter une vitrine peu soignée !

– «La vitrine d’un magasin est le miroir de ce qui se trouve à l’intérieur!» répétait-il inlassablement à qui voulait l’entendre.

Il traquait donc le livre corné, le livre tombé, le rayonnage en désordre, l’araignée qui aurait tissé sa toile au milieu des mots, la tablette poussiéreuse. Il soupirait ! Il fallait falloir remettre de peu d’ordre dans tout ce désordre !

Plusieurs livres étaient tombés des tables et des rayonnages.

Michel se mit à sourire. Les livres avaient encore fait la java cette nuit !

Il aimait à imaginer que la nuit, les livres se mettaient à vivre, en cachette, quand la librairie avait fermé ses portes, qu’ils dansaient, se déplaçaient d’un coin à un autre, changeaient de place, échangeaient des mots, bref !

Les livres s’animaient la nuit, quand personne ne les voyait !

En observant la vitrine d’un air malicieux, Michel nota que

  • Jean d’Ormesson enlaçait encore la belle Irène Frain.
  • Bernard-Henri Lévy tirait la couverture à lui, laissant Le Clézio sans mot.
  • Philippe Sollers enjambait Marguerite
  • Yves Berger s’étalait de tout son long sur l’Amérique de Michener.
  • Amélie Nothomb vomissait l’araignée qui avait tenté de s’immiscer dans ses pages.
  • Henri Troyat et François Nourissier avaient leurs pages cornées.
  • Philippe Labro, Paulo Coelho, Milan Kundera, Ismail Kadaré s’entassaient les uns sur les autres.
  • Le livre de cuisine de Ginette Mathiot marchait sur les plates-bandes de Michel Lis le jardinier.

Quel méli-mélo dans la petite vitrine !

Les livres inertes s’étaient animés cette nuit, plus que jamais ! Surpris par le jour, ils n’avaient pas eu le loisir de regagner leur place attitrée.

C’est ce que pensait Michel, amusé. Il s’empêchait de divaguer plus longtemps dans son monde imaginaire… C’est qu’il s’en racontait des histoires, le Michel… Il aurait rêvé les écrire, toutes les histoires qu’il inventait.

Mais il n’avait pas le temps. Le temps filait trop vite et courait après Michel. Ce temps qu’il aurait tant aimé arrêter pour une période figée pour quelques lustres .

Écrire ! Écrire était un don, un art, comme la peinture ou la musique.

On l’avait ce don, ou on ne l’avait pas ! On ne pouvait se décréter écrivain du jour au lendemain ! Cela, Michel l’avait compris très vite, rien qu’en lisant à mi-voix les œuvres de ses auteurs fétiches ! Et ça le désespérait, de découvrir tant de perfection au fil des pages lues et relues …

Jamais il ne parviendrait à égaler ces grands écrivains dans l’art de faire chanter les mots. Le langage, ce n’est pas seulement des phrases sur une feuille de papier ou un écran d’ordinateur. La musique des mots joue elle aussi un rôle, parfois primordial. Alors comment en tenir compte lorsqu’on traduit un texte ?

« Le langage, ce n’est pas seulement des phrases sur une feuille de papier ou un écran d’ordinateur. La musique des mots joue elle aussi un rôle, parfois primordial. Alors comment en tenir compte lorsqu’on traduit un texte ? »

Jeanne Vandewattyne

La musique des mots, c’était bien cela !

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Et pourtant, il avait tant de choses à dire, tant d’histoires à faire partager, tant d’histoires qui attendaient, là, dans un coin de sa tête. Écrire était, chez Michel, plus qu’une simple envie. C’était un besoin, devenu vital au fil des années qui passaient. Un besoin inassouvi qu’il mettait sur le compte du manque de temps, et qui le laissait frustré.

Alors, il se contentait de prendre des notes sur le petit carnet qui ne le quittait jamais, pour le jour où il se lancerait dans l’entreprise d’un roman !

  • Le jour où il ne serait plus libraire, le jour où il aurait suffisamment de temps devant lui pour se consacrer à son œuvre, le jour où, suffisamment nourri des mots des autres, il aurait acquis l’art de manier le verbe, le jour où il serait vieux et à la retraite.
  • Le jour où il serait capable, enfin, de remplir une page entière avec talent !

Ce qui le désespérait, c’est que les rares fois où il s’était trouvé devant la page blanche, il avait été incapable d’écrire, de trouver le mot juste, le mot beau…

Il avait été incapable de laisser couler ses mots, ses mots sonnaient faux ! Mû par le besoin irrésistible de coucher des mots sur le papier, il avait été atteint du fameux syndrome de la page blanche, et quand après des heures, il avait enfin réussi à remplir une feuille entière, il s’était relu et avait trouvé ça très mauvais. La feuille de papier avait terminé dans la corbeille, déchirée en mille morceaux.

Depuis, Michel était terriblement frustré, malheureux.

Ce matin-là, bien avant l’ouverture, Michel entra dans la petite librairie. Il était à peine sept heures du matin. Le magasin ouvrait ses portes à la clientèle, à neuf heures précises, mais il aimait arriver deux heures plus tôt. Cela lui laissait du temps pour préparer sa journée et passer quelques commandes, déballer quelques cartons de nouveautés qui prendraient aussitôt place sur quelques coins de tables.

Dès l’arrivée de ses clients, Michel tentait de se consacrer entièrement à sa clientèle, aux amoureux de la littérature. La journée filerait à une allure folle.

  • Réception de colis de livres
  • Déballage,
  • Commandes,
  • Classement des livres nouvellement arrivés.
  • Accueil des clients et des représentants des maisons d’édition.

Michel, une fois de plus, ne verrait pas la journée passer, ni l’heure de fermeture arriver !

A dix-neuf heures trente, il fermerait les portes de la librairie. Il resterait une heure ou deux après la fermeture, pour terminer quelque travail laissé en plan…

Après avoir raccompagné ses derniers clients et fermé les portes derrière eux, il déposa une pile de livres sur sa table de travail. Il s’appliqua à remplir les fiches de stock de chacun, de sa plus belle écriture. Il ouvrait chaque livre, en lisait quelques lignes pour en connaître le contenu. Parfois, il se laissait emporter par le charme des mots et s’attardait plus que de raison, entraîné par la magie qui s’opérait. Il lisait, lisait, comme ensorcelé…

– « Ha ! Comme je voudrais savoir écrire comme ce merveilleux écrivain ! Comme je voudrais connaître cette fabuleuse folie qui vous jette corps et âme dans cette rivière de mots à jamais intarissable… Mais comment parviennent-ils, ceux-là, pour écrire ces mots superbes… pour laisser libre cours à l’inspiration ? Cela paraissait si simple d’écrire !… Répondez-moi ???

Capture

Giono, Balzac, Chateaubriand, Maupassant, Zola, Hugo, George Sand

…si vous m’entendez de là-haut, comment faisiez-vous ???

Quel était votre secret pour arriver à une telle maîtrise du mot ? Le mot simple mais qui renfermait toute la subtilité des choses, le mot qui coulait juste et beau… pour former un tout, un tout avec tous les autres mots qui s’associaient pour créer, à l’unisson, une œuvre parfaite. Mon Dieu, si vous m’entendez, vous tous réunis, aidez-moi ! Donnez-moi la clé pour ouvrir le monde des mots. Faites-moi un signe de là-haut ! Ou je mourrai de ne point écrire ! Oui, j’en mourrai, c’est sûr ! » gémit-il en se prenant la tête entre les mains.

Michel se surprit à parler à haute voix !

Il replongea dans les pages du livre qu’il était en train de découvrir. Il était comme hypnotisé par le pouvoir des mots. Il ne voyait même pas le temps qui filait, il ne ressentait pas la fatigue qui le gagnait peu à peu. Pourtant le sommeil commençait à s’emparer de lui, ses paupières devenaient lourdes.

Il ne s’aperçut même pas qu’il s’était affaissé sur sa table de travail, les bras repliés autour du livre qu’il était en train de lire, la tête lourdement posée sur les pages ouvertes.

Le rêve qui le prit, l’emporta au pays des mots. Un pays où les mots s’envolaient hors des livres, des livres qui n’étaient autres que les maisons du pays des mots ! Les habitants de ce pays logeaient donc dans des livres, dont ils produisaient les mots. Ils inventaient des mots aussi naturellement que s’ils respiraient…

A suivre …

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

27 réflexions sur « Le syndrome de la page blanche … !!! – 2/3 »

  1. Bonjour très matinal Zaza ! Ah les livres et ce qu’ils renferment parfois pour nous emporter vers un ailleurs tellement romantique ou palpitant dans la peur ! Lire quel bienfait celà procure !!! Merci Zaza bon mardi gros bisous !

  2. Wouah Zaza quelle belle envolée de mots! Quelle folie mais c’est ainsi que cela se passe lorsque l’on veut écrire une page et plus encore. Michel vit dans l’univers qui entraîne tout auteur en puissance à se révéler.

    Je viens de m’apercevoir que je n’ai pas lu le premier épisode, je vais de ce pas me plonger dans ton histoire palpitante.

    Gros bisous

    EvaJoe

  3. tu as raison, « écrire est un don » que la nature t’a donné…mais elle m’a oublié….je n’ai pas dû être assez sage dans le ventre de maman…..sniff sniff….mais t’en fait pas j’en ai d’autres….hihihi….il faut bien que je me console, ….en attendant ta prochaine lecture passe une bien agréable journée

  4. Un libraire inspiré par tant de fabuleux écrivains paraît assez normal mais en effet, ce n’est pas donné à tout le monde. Et pourtant, tant de gens écrivent et se prennent pour des écrivains ! Ce n’est déjà pas mal si celui-ci, avec les nombreuses heures qu’il fait, s’en sort car beaucoup de librairies ont dû fermer. Ici, dans ma ville, il n’en existe plus, il faut se rendre chez Leclerc ou acheter sur Internet.
    Je reviendrai pour la suite.
    Bonne journée.

  5. Je souris à la lecture de ton texte du jour. Il me fait penser à ce libraire de Quiberon qui fait une fiche de lecture pour chacun des livres lus et la partage avec ses clients…j’aime!
    Bisous du jour de Mireille du Sablon

  6. un libraire amoureux des lettres, des mots —
    une belle suite—- patientons-
    les traductions perdent de leur magie initiale je trouve—-aucun mot ne peut être remplacé –
    bisous et belle journée-

  7. Une belle envolée comme tu sais si bien les faire ou les donner. Un vrai régal ton histoire. J’attends la suite fiévreusement. Gros bisous et bel après-midi

  8. bonjour Zaza,

    Belle suite ………
    Mais comme dit cette belle citation
    Il y a tant de mots pour dire ce qu’on ne pense pas, et ne pouvoir pas trouver le seul qui exprime ce qu’on pense !
    Bonne fin de journée à demain pour la suite
    Amitiés

  9. un beau rêve, espèrons que notre libraire trouvera la solution , ce n’est pas donné à tout le monde d’être un grand écrivain, ou meme un écrivain tout court , mais Zaza va surement trouver un truc ! bonne soiree et grosses bises

  10. L’imaginaire ne suffisant pas, il faut effectivement trouver LE MOT et traduire le ressenti.. oh qu’il est dur d’être un écrivain.. où ton ami le libraire nous emmène-t-il ?
    Bisous ma conteuse préférée

  11. J’espère qu’il arrivera à écrire aussi bien que tous les écrivains de sa belle librairie.
    J’ai vu les mots s’envoler en te lisant et tu me donnes envie d’arrêter mes commentaires pour continuer mon livre en cours … mais avant,
    Bisous ma Zaza :)

  12. Super Zaza , j’ai lu avec beaucoup de plaisir cette suite , les mots ne te manquent pas pour nous plonger dans l’ambiance , merci pour ce partage .
    J’ai lu un livre que j’ai adoré de Carl Luis Zafon sur ce pouvoir des mots et des livres l’ombre du vent
    « Chaque livre a une âme. L’âme de celui qui l’a écrit, et l’âme de ceux qui l’ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. »
    « Rien ne marque autant un lecteur que le premier livre qui s’ouvre vraiment un chemin jusqu’à notre coeur. Ces premières images, l’écho de ces premiers mots que nous croyons avoir laissés derrière nous, nous accompagnent toute notre vie et sculptent dans notre mémoire un palais ou tôt ou tard – et peu importe le nombre de livres que nous lisons, combien d’univers nous découvrons-, nous reviendrons un jour.»
    Bonne soirée
    Bisous

  13. Un écrivain ressent, cisèle, enlace émotions et mots et plonge dans ses rêves éveillés. Bref, il est magique d’avoir une plume et de se laisser emporter par elle à califourchon sur des nuages de papier! Toujours enchantée par ton texte, je t’embrasse très affectueusement… Cendrine

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