La Groac’h de l’Île du Loc’h-3/3…!!!

BELLAH

Ce fut pour elle comme un coup dans le cœur. Elle jeta un cri en disant :

– « Houarn est en danger ! »

Et sans attendre autre chose, sans demander conseil à personne, elle courut mettre ses habits de grand-messe, ses souliers, sa croix d’argent, et sortit de la ferme avec son bâton magique.

Arrivée au carrefour, elle planta celui-ci dans la terre en murmurant :

– « De saint Vouga rappelle-toi ! Bâton de pommier, conduis-moi. Sur le sol, dans les airs, sur l’eau ! Partout où passer il me faut ! »

Le bâton se changea aussitôt en un bidet rouge de Saint-Thégonec, peigné, sellé, bridé, avec un ruban sur chaque oreille et un plumet bleu au front.

bellah

Bellah le monta sans balancer. Il partit d’abord au pas, puis au trot, puis au galop, et il allait si vite, que les fossés, les arbres, les maisons, les clochers passaient devant les yeux de la jeune fille comme les bras d’un dévidoir. Mais elle ne se plaignait pas, sachant que chaque pas l’approchait de son cher Houarn. Elle excitait, au contraire, le bidet, en répétant :

– « Le cheval va moins vite que l’hirondelle, l’hirondelle va moins vite que le vent, le vent va moins vite que l’éclair, mais toi, mon bidet, si tu m’aimes, il faut aller plus vite qu’eux tous, car j’ai la moitié de mon cœur qui souffre, la meilleure moitié de mon cœur qui est en danger. »

Le bidet l’entendait et courait comme une paille qu’emporte !e tourbillon, si bien qu’il arriva enfin dans l’Arhez, au pied du rocher que l’on appelle le Saut du cerf.

Mais là, il s’arrêta, car jamais cheval, ni jument n’avaient gravi ce rocher. Bellah, qui comprit pourquoi il restait immobile, recommença à dire :

– « De saint Vouga rappelle-toi ! Bidet du Léon, conduis-moi. Sur le sol, dans les airs, sur l’eau. Partout où passer, il me faut ! »

Dès qu’elle eut achevé, des ailes sortirent des flancs de, sa monture, qui devint un grand oiseau, et qui l’emporta au sommet du rocher.

le koradon

Ce sommet était occupé par un nid fait de terre de potier garni de mousse desséchée sur lequel se tenait accroupi un petit korandon, tout noir et tout ridé, qui se mit à crier quand il vit Bellah :

– « Voici la jolie fille qui vient pour me sauver. »

– « Te sauver » ! Dit Bellah, « Qui es-tu donc, mon petit homme ? »

– « Je suis Channik, le mari de la Groac’h de l’île du Loc’h. C’est elle qui m’a envoyé ici.

– « Mais que fais-tu dans ce nid ? »

– « Je couve six œufs de pierre, et je n’aurai ma liberté, que lorsqu’ils seront éclos. »

Bellah ne put s’empêcher de rire.

– « Pauvre cher petit coq », dit-elle, « et comment pourrais-Je te délivrer ? »

– « En délivrant Houarn, qui est au pouvoir de· la Groac’h. »

-« Ah ! dis-moi ce qu’il faut pour cela ? » s’écria l’orpheline, et, même si je devais faire à genoux le tour des quatre évêchés, je commencerais tout de suite. »

– « Hé bien donc, il faut deux choses », dit le korandon: d’abord te présenter à la Groac’h comme un jeune homme; puis lui enlever le filet d’acier qu’elle porte à la ceinture et l’y enfermer jusqu’au Jugement dernier. »

– « Et où trouverais-je un habit de garçon à ma taille, korandon chéri ? »

-« Tu vas le savoir, ma jolie fille. »

A ces mots, le petit nain arracha quatre de ses cheveux roux, il les souffla au vent, en marmottant quelque chose tout bas, et les quatre cheveux devinrent quatre tailleurs dont le premier tenait un chou, le second des ciseaux, le troisième une aiguille, et le dernier un fer.

Tous quatre s’assirent autour du nid, les jambes en croix, et se mirent à préparer un costume complet pour Bellah. Avec la première feuille de chou, ils firent un bel habit piqué sur toutes les coutures. Une autre feuille servit au gilet, mais il en fallut deux pour les grandes culottes à la mode du Léon. Enfin le cœur du chou fut taillé en chapeau, et le tronc servit à faire des souliers.

Quand Bellah eut revêtu ce costume, on eût dit un gentil-homme habillé de velours vert doublé de satin blanc.

Elle remercia le korandon, qui lui donna encore quelques instructions. Puis son grand oiseau la transporta, tout d’une volée, à l’île du Loc’h. Là, elle lui ordonna de redevenir bâton de pommier, et entra dans la barque en forme de cygne qui la conduisit au palais de la Groac’h.

A la vue du jeune Léonard, vêtu de velours, la fée parut ravie.

– « Par Satan mon cousin », se dit-elle, « voici le plus beau garçon qui soit jamais venu me voir, et je crois que je l’aimerai jusqu’à trois fois trois jours. »

Elle se mit donc à faire de grandes amitiés à Bellah, en l’appelant mon mignon ou mon petit cœur. Elle lui servit à goûter, et la jeune fille trouva sur la table le couteau de saint Corentin, qui avait été laissé par Houarn. Elle le prit pour s’en servir à l’occasion, puis elle suivit la Groac’h dans le jardin.

Celle-ci lui montra les pelouses fleuries de diamants, les jets d’eau parfumés de lavande, et surtout le vivier où nageaient les poissons de mille couleurs. Bellah parut si enchantée de ces derniers, qu’elle s’assit au bord de la pièce d’eau afin de mieux les regarder.

La Groac’h profita de son ravissement pour lui demander si elle ne serait pas bien aise de rester toujours en sa compagnie. Bellah répondit qu’elle ne demanderait pas mieux.

– « Ainsi tu consentirais à m’épouser sur-le-champ ? » demanda la fée.

– « Oui », répondit Bellah, « à la condition que je pourrais pêcher un de ces beaux poissons avec le filet d’acier, que vous avez à la ceinture.

La Groac’h, qui ne soupçonnait rien, prit cela pour un caprice de jeune garçon, elle donna le filet, et dit en souriant :

– « Voyons, beau pêcheur, ce que tu prendras. »

– « Je prendrai le diable » ! cria Bellah, en jetant le filet ouvert sur la tête de la Groac’h. Au nom du Sauveur des hommes, sorcière maudite, deviens de corps ce que tu es de cœur ! »

La Groac’h ne put que jeter un cri qui se termina par un murmure étouffé, car le vœu de la jeune fille était accompli. La belle fée des eaux n’était plus que la hideuse reine des champignons.

Bellah ferma vivement le filet et courut le jeter dans un puits, sur lequel elle posa une pierre scellée du signe de la croix, afin qu’elle ne pût se soulever qu’avec celle des tombeaux, au jour du jugement dernier.

Elle revint ensuite bien vite vers le vivier. Mais tous les poissons en étaient déjà sortis et s’avançaient à sa rencontre, comme une procession de moines bariolés, en criant de leurs petites voix enrouées :

– « Voici notre seigneur et maître, celui qui nous a délivré du filet d’acier et de la poêle d’or. »

– « Et ce sera aussi celui qui vous rendra votre forme de chrétiens », dit Bellah, en tirant le couteau de saint Corentin. Mais comme elle allait toucher le premier poisson, elle aperçut, tout près d’elle, une grenouille verte qui portait au cou la clochette magique et sanglotait à genoux, ses deux petites pattes posées sur son petit cœur. Bellah sentit comme un coup intérieur, et elle s’écria :

-« Est-ce toi, est-ce toi, mon petit Houarn, roi de ma joie et de mon souci ? »

– « C’est moi » ! répondit le petit garçon « engrenouillé ».

Bellah le toucha. Aussitôt de la lame qu’elle tenait, il reprit sa forme, et tous deux s’embrassèrent, en pleurant d’un œil pour le passé et en riant de l’autre pour le présent.

l'engrenouille

Elle fit ensuite de même pour les poissons, qui redevinrent ce qu’ils avaient été.

Comme elle achevait, on vit arriver le petit korandon du Rocher du Cerf, traîné dans son nid, comme dans un char, par six grosses mouches de chêne qui étaient écloses des six œufs de pierre.

-« Me voici, jolie fille » ! cria-t-il à Bellah. « Le charme qui me retenait la-bas est rompu, et je viens vous remercier, car d’une poule vous avez fait un homme. Il conduisit ensuite les deux amants aux bahuts de la Groac’h, qui étaient remplis de pierres précieuses, en leur disant d’y prendre à volonté.

Tous deux chargèrent leurs poches, leurs ceintures, leurs chapeaux et jusqu’à leurs larges braies du Léon. Enfin, quand ils eurent pris tout ce qu’ils pouvaient porter, Bellah ordonna à son bâton de devenir une voiture ailée assez grande pour les conduire à Lanillis accompagnés de tous ceux qu’elle avait délivrés.

Là, les bans furent publiés, et Houarn l’épousa, comme il le désirait depuis longtemps. Seulement, au lieu d’acheter une petite vache et un pourceau maigre, il acheta toutes les terres de la paroisse, et il y établit, comme fermiers, les gens qu’il avait ramené de l’île du Loc’h .

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Il s’agit d’un conte adapté des contes et des légendes de Basse Bretagne d’Émile SOUVESTRE

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

26 réflexions sur « La Groac’h de l’Île du Loc’h-3/3…!!! »

  1. C’est une magnifique histoire, je viens de me régaler… Les amoureux triomphent! Bellah la jeune magicienne avec son bâton de Saint-Vouga qui affronte la sorcière aux désirs compulsifs…et prend l’ascendant. Les péripéties, les rencontres, tout le récit fleure bon la magie des mots du coin de l’âtre et cela fait tant de bien. Un grand merci pour cette écriture de conteuse et les superbes descriptions: les montures de Bellah, la confection du costume de garçon, les petits gestes d’Houarn « engrenouillé », bravo!
    Gros bisous et belle journée, à l’abri de l’air glacial…
    Cendrine

  2. que j’aimerai avoir eu un bâton magique par moments….j’aurai peut-être pu changer le cours de certaines choses….passe une bien agréable journée car je crois que tu es dans la neige comme nous

  3. Mars, le mois des fous,
    Qui s’amuse et bafoue
    Les lois, même de la nature.
    Un jour l’hiver perdure
    Un autre l’été semble être là.
    Mars, long mois plein de falbalas
    Où, la nature, enfin, s’éveille
    Après de longs mois de veille.
    Espérant qu’il t’apporte des joies
    Chaque jour qui va passer , bisous
    Et merci Zaza pour tes talents de conteuse
    Encore une fois embarquée dans cet univers

  4. Bonjour Zaza…Quelle jolie histoire, Je te souhaite une douce journée … le ciel gris pointe son nez , et pas de neige!!
    il va faire moins froid …l’hiver va disparaître a petit pas ….
    Gros bisous et a demain

  5. ..ouf tout est bien qui finit bien, quelle belle légende !
    Bonne journée, ici une fine pellicule de neige mais comme le vent est glacial, j’ai peur que nos routes ne deviennent trop glissantes…
    bises de Mireille du sablon

  6. Bonjour Zaza.
    Ca fait bien longtemps que je n’ai pas vu un temps comme celui d’hier et c’est bien parti pour continuer aujourd’hui.
    Il fait encore moins 10° et il y a du vent qui mêlé à la neige fait des congères jusque sous nos fenêtres.
    Nous voila arrivé au mois de Mars et nous aurons sans doute encore des surprises.
    Je te le souhaite quand même agréable.
    Bonne journée.
    Bisous de nous deux.

  7. Bonjour Zaza,
    Belle suite et fin ……comme beaucoup dans ce genre de conte …..ils vécurent des jours heureux…
    Bonne fin de journée……ici le redoux est de retour de -7° nous revoilà à +6° ciel bleu et soleil
    Amitiés

  8. super mignon, ça fait du bien de rêver quelquefois, merci Zaza. une minuscule couche de neige…et c’est déjà le crachin qui revient…grrrr!!!! Bisous.

  9. Une histoire qui finit bien … un joli conte et je me demande pourquoi tu passes en spam? Bisous bonne fin de journée grisaille et pluie fine je préférais le temps froid et sec

  10. Un superbe conte , j’aime beaucoup cette façon aussi de visiter la Bretagne les légendes et contes nous en apprennent beaucoup aussi . Ce bidet de St Thégonec avec ses pompons et plumet est génial , j’aimerais bien qu’il m’emmène faire un tour en Bretagne .
    Bises

  11. ce fut un grand plaisir de lire ce conte et de voir une femme en être l’héroïne, comme si Hélène, la femme d’Ulysse avait volé à son secours. Bises et merci

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