L’amour jusqu’au bout … !!! – 1/2

Anne était une toute petite femme, 1m58 à peine ! Ses cheveux blancs étaient toujours tirés en un impeccable chignon…un petit chignon, vissé, là, au sommet de la tête.

Anne ne marchait pas, elle trottinait …

Elle trottinait en ce moment dans sa cuisine. A petits pas pressés, elle allait de la cuisinière à bois à l’évier, de l’évier au vaisselier, du frigo à la table des repas. Elle faisait tous ces pas, Jeanne, en trottinant, l’air pressé. En s’essuyant les mains à son tablier à carreaux gris et blancs, elle jeta un rapide coup d’œil à l’horloge contre le mur: l’heure du déjeuner approchait ! Son Michel n’allait plus tarder à pousser la porte de leur maison. Il devait déjà déboucher dans le chemin qui menait tout droit à la maison, une ancienne bergerie au charme d’antan.

Anne allait bientôt apercevoir sa silhouette sèche et élancée s’avancer sous le grand tilleul qui gardait l’entrée de la petite propriété. Comme tous les jours à la même heure, Michel venait de quitter ses compagnons du café de la Place, après la traditionnelle partie de belote. Autour de la table de jeu où tintaient les verres de p’tits blancs, les quatre hommes se retrouvaient quotidiennement en fin de matinée, histoire d’occuper le temps, de consolider une amitié, de tous temps très forte, par ce rituel incontournable.

Vingt ans déjà que ces quatre-là étaient à la retraite et qu’ils tapaient le carton en ressassant des souvenirs datant de la maternelle ! Inséparables, ils étaient ces quatre-là ! Jamais ils ne s’étaient perdus de vue, jamais aucun d’eux n’avait quitté le village. Maintenant qu’ils étaient tous à la retraite, ils étaient devenus comme les cinq doigts de la main.

A la retraite ! Un mot à ne jamais employer devant eux sous peine de réplique acerbe !

– « Parce que vous croyez que l’on est bon à remiser comme de vieux croûtons qui rassiéraient au fond de la huche à pain ?! On est loin d’être « has been » nous, M’sieurs dames ! On est utile à la société, on est la mémoire du village ! Tiens ! Demandez donc aux jeunes, ils savent bien venir nous chercher quand ils ont besoin !» s’indignait Michel en entendant le mot à bannir de tous les vocabulaires.

Le rouge lui montait au visage, ses lèvres frémissaient de colère à la seule évocation de ce mot si dégradant !

– « C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ! Pas question de nous mettre au rancart ! On a encore notre mot à dire, nous les anciens ! » Renchérissait Jojo en cognant énergiquement le fourneau de sa pipe dans le cendrier.

Les deux autres larrons opinaient du chef d’un commun accord. Michel était grand et sec, il n’avait pas pris un poil de graisse en prenant de l’âge. Par contre, lui qui était si effacé, même s’il avait des théories fumeuses sur la société et sa façon de vivre, avait pris de la gueule en vieillissant.  Il était tellement différent d’Anne, mais aussi tellement complémentaire ! Cette foutue retraite l’avait transformé Le fait d’avoir l’impression d’être désocialisé l’avait vraiment aigri !

Il entra dans la pièce, accrocha sa casquette à la patère et s’en vint s’asseoir à la table de la cuisine, non sans avoir baisé le front de sa femme.

Comme à son habitude, il se mit à râler. Michel, de tous temps, n’avait jamais entré dans le rang. Il avait toujours, plus ou moins ronchonné, grogné, pour un oui, pour un non, pour des riens. C’était un trait de caractère qui faisait que Michel était Michel ! Il râlait comme il respirait…

Anne avait fini par s’y habituer, et le contraire l’aurait inquiétée. Il y avait plus de cinquante ans qu’elle vivait avec lui. Ils avaient vécu seuls, avec leurs filles au début de leur union et avec une ménagerie de quatre pattes, mais sans domestiques ! Des enfants nombrilistes qui ne vivaient que pour eux, et des quatre pattes qui ne furent pas renouvelés au fil des années … Depuis la retraite, ils ne vivaient que tous les deux, rien que pour eux deux.

Elle avait toujours tout supporté sans jamais cesser de l’aimer. Michel était son homme ! Elle l’admirait, elle était toujours aux petits soins pour lui. Lui, Michel, sous sa cuirasse de râleur et de rustre, cachait un cœur tendre et sa petite « Nana », il y tenait comme à la prunelle de ses yeux.

Sans elle à ses côtés, il se sentait perdu, déboussolé. En débouchant la bouteille de vin et en buvant la première gorgée, il grogna :

– « Même plus foutus de faire du vin ! De la bibine, voilà tout ce qu’on boit de nos jours ! Même ça, ça se perd ! C’est-y pas malheureux, bordel ! » Bougonna-t-il dans sa barbe.

Anne le regarda calmement et soupira :

– « Mi, tu répètes ça tous les jours ! Change de vin ! »
– « Tous les mêmes ! Ils ne savent plus travailler dans ce foutu pays ! Tous des fumistes, des bons à rien ! On ne connaît plus les vraies valeurs. Moi, de mon temps… ! » Et c’était reparti !

Anne secoua la tête. Certes, l’âge n’arrangeait pas le caractère de son mari, mais elle pensa que, dans le fond, Michel en voulait au monde entier. Il s’était mis à haïr la terre entière ! Inquiète, elle le lorgna derrière ses yeux qui avaient passé de couleur.

Ces temps-ci, son époux n’était même plus sortable. Parfois, il lui faisait honte ! Elle se remémora un soir de la semaine précédente, quand Michel avait fait une sortie remarquée devant une assistance médusée, lors de la présentation d’un film d’auteur à la salle polyvalente du village. A la fin de la projection, le jeune réalisateur avait été convié pour parler de sa création et répondre aux éventuelles questions du public. C’était un film à tout petit budget, une sorte de conversation à 2 ou 3, sans grande intrigue, il est vrai, s’intitulant : « Le néant des sentiments ».

L’adjoint au maire chargé de la culture avait fait un discours encensant le jeune réalisateur. Celui-ci, rouge de plaisir, s’apprêtait à répondre, quand Michel se leva brusquement et proféra à haute voix :

– « J’avais déjà entendu parler du néant, mais votre néant à vous, il n’est pas bien du tout, il est rempli de merde ! » Il se dirigea vers la porte et sortit, Anne sur ses talons !
– « Tous des escrocs, des mégalos !! Et ils vous feraient avaler n’importe quoi ! Non, mais ils nous prennent vraiment pour des cons !!! Et toi, ne t’avise pas de me contredire ! »

Dans ces cas-là, Anne se faisait toute petite et attendait que l’orage passe… En se souvenant de cette soirée, elle éprouva, de nouveau, un sentiment de malaise. Anne, elle l’aimait son homme, par-dessus tout, même avec son mauvais caractère et ses bougonnements continuels. Mais s’il continuait à s’en prendre à la terre entière, là, elle ne l’admettrait pas !

Elle, Anne, elle avait toujours pris le monde comme il était, sans chercher midi à quatorze heures et elle se satisfaisait des petits riens qui faisaient son quotidien. Elle détestait les enragés quels qu’ils soient, pour la bonne et simple raison qu’ils étaient remplis d’amertume, et que l’amertume finissait par faire disparaître le goût de vivre !

Son Michel commençait à abandonner ses passions les unes après les autres. De son potager, il s’en lassait vite, le foot ne l’intéressait plus autant. Même la sacro-sainte belote n’arrivait plus à lui procurer autant de plaisir !

Au contraire, il entrait dans des colères noires, car il était devenu mauvais joueur et détestait perdre au jeu ! Il accusait même ses amis de tricher … Des passions, Anne en avait encore de nombreuses et elle y était encore profondément attachée : la cuisine, la broderie, le jardinage, l’écriture …

Dans le temps, le parachutisme remportait toutes ses faveurs, mais à son âge il lui avait été conseillé d’arrêter de sauter : c’était mauvais pour son cœur … Il ne lui fallait plus de sensations fortes ! Et elle avait remplacé cette passion par la marche à pied, dans la campagne environnante, les jours de beau temps. La seule passion qui allumait encore une étincelle dans le regard de Michel, était la pêche en haute mer ! Mais la mer était loin d’ici et il n’avait que très rarement l’occasion d’assouvir sa passion, le Michel ! Aussi prenait-il beaucoup de plaisir à en parler avec Nicolas, un ancien marin-pêcheur breton qui s’était reconverti depuis en arrivant dans le village, dix ans plus tôt. Nicolas était un grand gaillard, à la soixantaine pétante de vitalité, célibataire endurci. Il s’était installé dans la région, à la mort de son père, pour reprendre la petite entreprise familiale d’ébénisterie.

Il aimait le bois, le Nicolas. Il le travaillait à merveille. Il disait que le bois, c’était tendre, c’était chaud, c’était vivant et on le façonnait selon son humeur, selon son instinct, pour en tirer l’essence même de soi, pour en tirer un quelque chose qui vous dépassait…

Un artiste, le Nicolas … Il avait de l’or dans les mains !

De temps à autres, il pratiquait le parachutisme, dans ses moments de loisirs. C’est ainsi qu’il avait fait la connaissance d’Anne, lors d’un saut en commun, un jour où le ciel était particulièrement dégagé … Dix ans déjà !

Il avait surnommé Anne : « la Super-Mamie » quand il avait vu ce petit bout de femme sauter encore à 75 ans ! Elle l’avait épaté ce jour-là, la petite Anne ! Il avait aussitôt sympathisé avec Michel, quand ils s’étaient découvert la même passion pour la mer et la pêche. Nicolas rendait souvent visite au couple, et restait souvent dîner avec eux.

Ces soir-là, d’interminables conversations se poursuivaient jusque tard dans la nuit. Anne écoutait les deux hommes, le menton dans la main, le sourire aux lèvres. Elle aimait l’étincelle qui brillait dans les yeux de Michel à l’évocation de ces grandes sorties en mer. Elle aimait la connivence des deux hommes, qui comme des gosses, refaisaient le monde et partaient pêcher dans toutes les mers du globe.

A demain pour la fin

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

32 réflexions sur « L’amour jusqu’au bout … !!! – 1/2 »

  1. Ah les hommes, nos hommes… ,-) Certes la retraite c’est une mise à l’écart de la société, moi je dis mise au vert et libre de tout, tiens comme refaire le monde un verre à la main… @demain, bises

  2. Bonjour. Superbe texte !!! que d’émotions… (qui me fais penser à Mosé le lézard qui pleurait d’Inès Cagnatis). Que de Nostalgie. Et comme disait Raymond Radiguet :  »Tout âge porte ses fruits.. il faut savoir les cueillir »…. Merci pour ce partage.
    Bon début de semaine. Bises. Michèle J.

  3. C’est tout à fait cela la vie et oui c’est vrai qu’on a besoin des personnes qui avancent dans l’âge, ce sont des sages …qui ont du savoir à transmettre :)
    Beau texte
    Bisous

  4. mais allons nous devenir comme ça, à trainer des pieds, à râler pour un oui où un non………je ne me pose pas trop de question, j’attends…..(lol)…on verra peut-être quand le moment arrivera, en attendant ayant toute ma lucidité, je te souhaite une belle journée

  5. Bonjour ma Zaza
    J’adore cette première partie et la répartie de ces adorables personnes de la 3° jeunesse, ils ont raison on a tendance à trop laisser de côté les retraités, alors qu’on a tant de choses à apprendre à nos jeunes et heureusement qu’ils nous ont et oui tout fout le camp, dans le temps lontan on savait travailler et on ne rechignait pas à l’ouvrage et actuellement quand on voit certains jeunes feignants qui n’ont pas envie de se mettre à la tâche préférant profiter des acquis sociaux franchement çà fout le bourdon et c’est désolant ma Zaza, dans notre temps pour avoir de l’argent il fallait bosser sinon on avait droit à rien gratuitement, je ne généralise pas bien entendu mais je parle en connaissance de cause, voyant autour de moi certains jeunes rester assis attendre les aides au lieu d’essayer de se donner de gros coups de pieds aux fesses pour se donner du courage à chercher du travail, certes ce n’est pas facile tant de gens sont au chômage et cherchent et ne trouvent pas souvent par rapport à l’âge, mais aussi certains profitent du système, voilà ma Zaza c’est pour cela que j’aime cette belle histoire et j’attends la suite avec impatience.
    Le lundi au soleil, on aimerait mieux cueillir le raisin ou simplement ne rien faire le lundi au soleil…
    C’est en fredonnant cette chanson de Cloclo qu’en un clic j’arrive dans ton bel univers de blog, merci de ton gentil passage.
    Je te souhaite une belle journée au soleil.
    Gros bisous ensoleillés de la Réunion.

  6. En amour, tant conjugal que social, seuls les membres actifs ayant régulièrement cotisé à sa caisse centrale ont droit à une honorable retraite proportionnelle.
    VOYONS DEMAIN!!! big nises ma ZAZA

  7. J’ai bien aimé te lire, l’amour de Anne n’est pas facile à vivre en vieillissant mais c’est ainsi pour beaucoup. Avec l’âge on ose dire ce que l’on pense vraiment. Tout à fait d’accord avec lui après ces films qui ne disent rien, qui ne montrent que la vie côté triste et même lugubre. J’en ai vu un du genre avec une copine, à la Maison de la Culture. On a attendu tout le film que quelqu’un parle, que quelqu’un fasse quelque chose, mais rien … mais ma copine et moi on en a parlé très longtemps en rigolant, un bon souvenir malgré tout.
    Et donc, je comprends très bien ce papy à caractère bien trempé !
    Gros bisous ma Zaza

  8. Une première photo qui pourrait servir de déclencheur d’ impressions.
    D’ailleurs, tu as peut être fonctionné comme ça.
    Faisons parler Anne, cette dame à la fenêtre …..

    Tous les deux, ils sont maintenant des retraités professionnels! Tant d’années à se sentir, l’un près de l’autre, et d’être sollicités comme des personnes qui font autorité. Sens premier de l’autorité pour un apprenant, un professeur par exemple. Les élèves osent et ont envie de questionner, il fait autorité. Bien loin de celui qui est autoritaire.

    Bon, pas tous les jours je pourrai venir chatouiller trois articles aussi riches, mais ça, tu le sais.
    Yann

  9. Bonjour Zaza
    J’ai aimé te lire
    Anne faisant du parachutisme et Michel jouant à la belote ….. j’aurais de belles conversations avec chacun ! lol !
    Bises, bonne journée

  10. Le mien est, un peu, comme ça, ma chère Zaza et j’ai souri à quelques répliques. Qu’ils sont beaux!!! Non, la retraite n’est pas une fin puisqu’elle peut être le début d’autre chose. Je t’envoie mille bises et te souhaite une belle journée ♥

  11. Un très beau texte Zaza même si j’ai pas vu le début on se croit vraiment dans la cuisine…..on l’entend râler…
    Bref ceci pour te dire aussi que le temps est venu pour moi de laisser l’ordi pendant 1 mois environ, je me désabonne de la news. Sache que j’en reçois environ 50-60 /jours et que cela serait, à mon retour, ingérable.
    Je me réabonne dès ma rentrée après le 15 juillet, peut-être avant….
    Je ne t’oublie pas. Je te souhaite une bonne fin de mois de juin et un super début juillet, profite au maximum du beau si il y en a. Amicales bises et à bientôt. Renée http://envie2.be/

  12. Un texte fort et très poignant, des tranches de vies, des portraits intimes, la passion des sentiments et l’âpreté des caractères. Quel que soit l’âge, quand on aime… L’amour brûle, intense!
    Tu m’as happée dans ce portrait de femme, petit bout d’énergie qui ne vacille pas.
    Gros bisous ma Zaza
    Cendrine

  13. Quel beau portrait émouvant ma Zaza tu traces de ce « vieux » couple tellement attachant ! Des personnes de caractère et toujours pétries d’amour partagé malgré le temps qui passe… Il est vraiment merveilleux de vieillir ensemble en gardant sa fraicheur d’âme ! Je t’embrasse, en te souhaitant une très bonne semaine, kenavo Shuki

  14. Bonsoir Zaza
    J’adore les deux photos les rides expriment ce qu’ils ont vécu…Je lirais ton texte demain ce soir c’est difficile.
    Une journée non-stop…je suis sur les rôtules ce soir…Une bonne nuit de sommeil va me remettre d’aplomb…passe une belle soirée… bisous

  15. …de la tendresse dans ton récit malgré le mauvais caractère de Michel… j’attends la suite avec intérêt…
    Bises du soir,
    Mireille du sablon

  16. Une belle et tendre description d’un vieux couple, qui ne pourrait pas vivre l’un sans l’autre.Les hommes ont souvent plus de mal à s’habituer à la retraite .
    Qu’est ce qui rend Michel si amer ?
    Bisous

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