La légende de l’île … !!! 1/2

« Mystère de l’île »

NEWS ...!!!Cette histoire eut lieu, il y a plus d’un siècle !

Joseph, ce vieux garçon, avait passé les trente années de son existence dans la petite île de mon cœur.

C’est un petit bourg situé dans une toute petite île du Bro Léon en Finistère comptant onze cent âmes à cette époque-là, alors qu’aujourd’hui, il n’en reste qu’à peine cinq cent.
Autant dire que tout le monde connaissait tout le monde. Que le moindre pas ou le moindre mot avaient du mal à passer inaperçu. Que la solidarité était le maître mot, alors qu’au XXIème siècle, ils se connaissent tous, mais forment des clans et des divisions, sans solidarité aucune !

Joseph faisait partie des rares jeunes gens de son âge n’ayant pas trouvé sa moitié. Écrivain, il acceptait aussi des travaux d’ouvrier agricole pour subvenir à ses besoins. L’écriture ne paie pas ! A la disparition de son père, alors qu’il n’avait que quinze ans, il avait repris la petite maison de famille. Il était fils unique et sa mère avait quitté l’île à sa naissance, pour les beaux yeux d’un notable. Il n’eut jamais de ses nouvelles depuis, excepté le jour de ses quinze ans !

La vie était calme sur l’île à ce moment-là. Rien, ni personne ne semblait pouvoir perturber la quiétude de tous ses habitants vivant quelque peu en marge du reste du monde, rien, ni personne jusqu’à cette nuit.

Tous les habitants se retrouvèrent au milieu du carrefour, près de l’église, sur la placette et dans l’obscurité. Pensez-donc, les deux cloches de la vieille église dédiée à Notre-Dame du Bon Secours venaient de tinter les douze coups de minuit, ce qu’elles n’avaient encore jamais fait, pendant près de 400 ans … Le son grave et profond de la cloche « Barbe Joseph » côté nord et celui plus strident de la cloche « Jacques Nicolas » côté sud avaient résonné dans chaque foyer, égrenant ses douze notes et réveillant les îliens.

Joseph habitait si près de la vieille église que les cloches faisaient trembler les vitres de son bureau. Il regarda sa montre à gousset, elle n’affichait que onze heures … Le carillon du son des cloches lui prouva le contraire, il était bien minuit !
Joseph quitta son logis et rejoint le bedeau, seul occupant de la sacristie. Ils furent les premiers dehors. Et …, et le vieux matou de Joseph, profitant de l’occasion, sauta sur le bureau libéré par ce dernier, bousculant les papiers épars, s’installant, les pattes en rond, sur une page qui commençait ainsi:

« Le mystérieux personnage est apparu encore, hier au soir, vers les minuits. Il jouait à cache-cache avec la lune, mais je l’ai aperçu se faufiler furtivement, là-bas entre les grands arbres …
Que cherche-t-il, d’où vient-il, qui est-il, emmitouflé dans sa large cape noire?… »

Le chat posa son minois au milieu de la phrase et lécha l’encre mauve qui s’étala. Une chouette hulula dans le lointain. Les cloches résonnaient encore lorsqu’ils arrivèrent à la porte de l’église. Regardant la porte close, aucun d’eux n’osaient prendre l’initiative de l’ouvrir, ne voulant pas pousser l’autre à prendre une décision. Le village était maintenant réveillé, ils entendaient déjà approcher les pas cadencés des sabots dans les ruelles avoisinantes.

Joseph ne voulant pas être pris pour un couard, regarda d’un front fier le bedeau et l’œil décidé appuya de tout son poids sur la clenche de la porte. L’encadrement de bois racla les pavés, le battant de la porte s’entrouvrit dans un frottement et un grincement qui sembla figer les êtres et les choses sur le moment. En s’introduisant dans l’église, un banc de brouillard glacé leur barra le passage, aucune visibilité …

La lumière provenant des ruelles paraissait lutter âprement pour pénétrer dans la nef. Cette obscurité tenait bon. Elle évoquait par son imperméabilité, un mur anachronique construit bien avant l’édifice et qui venait de réapparaître ce soir pour en boucher l’entrée. Que pouvait-il bien y avoir derrière ce mur virtuel aux aspects fantomatiques ?

Joseph, pris son courage à deux mains et traversa le « fog » léonard. Quelle ne fut pas sa surprise ! Là ! Plantée au milieu du chœur ! Juste devant l’autel vieux de plusieurs siècles, il y avait la vierge Marie qu’il n’avait jamais vue. Comment avait-elle bien pu arriver là ? Il s’en approcha lentement ! Il n’en croyait pas ses yeux ! Dans les bras de la vierge, il y a avait un enfant ! Un nouveau-né qui gesticulait calmement sans un cri, sans un pleur !

– «  Ma Doué… » Soupira Joseph, en frôlant le visage de l’enfant.

Derrière lui, occultant à nouveau l’entrée de l’église, le brouillard comme une vague épaisse, roulait maintenant jusqu’aux pieds de Marie, laissant dans l’ignorance de cette découverte, le bedeau et la foule des îliens.

– « Alors, l’Joseph, tu vois quoi ? » Demanda la voix aigrelette du sacristain.
– « Rien ! »

Le brouillard lui arrivait à la ceinture; il regarda l’enfant… L’enfant le regarda aussi. Le brouillard montait toujours et commença à lécher les pieds du nouveau-né. Joseph s’en saisi avec précaution et regagna en tâtonnant l’entrée de l’église, alors que Marie se cristallisa en statue de granit, devant peser au moins deux ou trois cent kilos ! Le brouillard semblait plus consistant à mesure qu’il avançait. Il avait maintenant l’impression, dans sa difficulté de progresser, de traverser un champ de blé mouillé venant lui fouetter douloureusement les cuisses et les mollets. Ses pas se faisaient lourds et de plus en plus pesant, tandis que son regard était inextricablement attiré vers l’enfant qui le fixait de ses yeux de «  vieillard » dans un visage de bambin.
Son pas se fatiguait, se faisait trainant et son visage exprimait la souffrance de l’effort qu’il était en train de fournir. Il se surprenait également à frissonner, en sueur, dans le brouillard glacé. N’y tenant plus il s’arrêta.

Peut-être lui restait-il une solution ?
* Faire demi-tour !
* Reposer l’enfant ?
* Non ! Se dit-il, l’enfant restera avec moi !

Les yeux toujours fixés dans ceux de l’enfant, il perçut une différence, l’enfant lui sourit et la gangue qui semblait le maintenir sur place se dilua dans le sourire de l’enfant.

Jamais cette église qu’il avait fréquenté quelques fois ne lui parut aussi grande, si longue à traverser. Gêné par cette fièvre subite, par ce brouillard toujours plus épais, il ferma un instant les yeux, serra plus fort ses bras autour de l’enfant et s’arrêta.

– « Joseph ! »

La voix du bedeau cisaillant le silence déchira ce brouillard qui à présent couvrait totalement le nouveau-né.

– «  Joseph, Joseph ! » Renchérirent les îliens.

Cette rumeur lui sembla très lointaine et Joseph, las, s’assied sur le premier Prie-Dieu qu’il cogna tout en serrant toujours plus fort contre lui le petit être. Il lui parla et ce, en aveugle dans cette opacité surnaturelle les enveloppant. Ils ne se voyaient plus et pourtant, Joseph parlait à l’enfant.

– «  Je ne peux pas te laisser là, petit ! De cette ouatine glacée, il faut qu’on sorte. J’ne sais pas trop ce qui arrive ici, mais si tu restes, tu vas t’chopper une belle crève surtout que t’es pas bien couvert. T’es sympa comme mioche, tu n’gueules pas trop. Tu vois, je n’ai pas vraiment l’habitude des petits enfants !
Bon, on va avancer. J’ai l’idée d’aller sur le côté, on trouvera bien la porte en longeant un mur ! Saleté de brume, j’aurais dû écouter la météo plutôt que les cloches … »

Un grand fracas interrompit son monologue, la statue de pierre s’écroula. Une main l’agrippa, il sursauta.

Joseph, tournant le visage essaya de détailler le personnage qui venait de le saisir, mais ce brouillard omniprésent semblait l’envelopper dans une irréalité floue. Il semblait grand et son corps était enveloppé dans une cape et appuyé sur une grande perche. De son visage était penché, ses yeux perçants, coiffé d’un chapeau aux larges rebords, seule sa bouche semblait nette. Elle était fine et refermée dans une moue qui ne laissait rien présager d’agréable aux mots qui devaient s’en écouler.

L’enfant remua dans ses bras, comme atteint de fébrilité. Il se mit à pleurer, ce qui stoppa chez Joseph, un instant, la concentration vis à vis de ce personnage. La bouche de l’homme s’ouvrit et sans que ses lèvres ne remuent, sa parole s’éleva.

– « Donner moi l’enfant, les enfants de la nuit doivent être élevés par leurs semblables. »

Sa voix était aussi froide, grave et crépusculaire que l’endroit et le moment où elle s’élevait. Bizarrement, Joseph se sentait serein. Il se dit même que cet homme était la vivante représentation du personnage qu’il voulait utiliser dans son roman et, il se promit d’enregistrer tous les détails.

– « Qui êtes-vous ? »
– « Je suis Corann. »
– « Enchanté Corann, moi c’est Joseph. Je suis natif de l’île, j’habite juste à côté. Quel temps, n’est-ce pas … »
– « Donnez-moi l’enfant ! »

Le nouveau-né avait cessé de crier, mais gesticulait toujours au creux de son bras.

– « Émile ! Émile ! » Appela Joseph.

Le bedeau ne répondit pas.

– « Ne criez pas, c’est inutile, il n’y a personne devant l’église. Nous sommes hier. Souvenez-vous, il n’y avait âme qui vive dans les ruelles de l’île, hier soir. C’est ce soir que les cloches sonneront les douze coups de minuit. »
– « Désolé de vous contredire Corann, mais les douze coups viennent de sonner il y a quelques instants. C’est d’ailleurs pour cela que je suis ici. Les deux cloches nord et sud de l’église n’ont jamais sonné minuit ensemble, alors vous pensez bien que nous sommes tous venus ! »
– « Le carrefour et la placette sont vides. »
– « Je ne vous crois pas, nous étions tous là ou presque… »
– « Alors, suivez-moi, vous verrez bien ! Et faites attention à l’enfant ! » Répliqua Corann en guidant Joseph hors de l’église.
– « Vous voyez bien que nous sommes seuls. »

L’homme rabattit son chapeau vers son visage et encore une fois demanda l’enfant.

– « Il faut rendre ce bébé à sa mère, il a besoin de sa chaleur, de son lait. » Répondit Joseph en regardant l’enfant …

Quelque chose brillait à son poignet, certainement une gourmette d’or.

– « Il a un nom, ce bébé ! » Continua Joseph.
– « Je sais, il s’appelle Corann » dit l’homme.
– « Deux Corann dans une même nuit, ce n’est pas courant ! »

L’homme s’approcha et tendit la main, une main grande et large.
– « L’enfant m’appartient, donnez-le-moi ! »
– « Non, il restera avec moi pour l’instant. »

Et d’un coup sec, Joseph fit voler le chapeau du personnage menaçant. Dans la nuit, la lueur des yeux de l’homme brillait d’un éclat d’acier.

– «  Corann, c’est vous ! » cria Joseph.

Une chouette hulula, l’homme gémit et partit vers le jardin exotique où travaillait George Delaselle.

– « On ne recommence pas sa vie, jamais ! » Cria encore Joseph.
– « La preuve que si ! » Répondit l’homme en se retournant. « Nous avons chacun vingt-quatre heures. Prenez soin de moi. A très bientôt et n’oubliez pas, nous sommes hier. »
– « Attendez Corann, ne partez pas. On ne peut pas être hier. Qui êtes-vous ? Vous êtes son père ? Revenez, nous parlerons calmement, on trouvera une solution. Corann !!! »

Seul un rire du petit répondit à son appel, l’homme avait disparu dans les arbres. Joseph s’assied sur les marches du parvis et songea un moment à l’étrangeté de la situation.

L’île était endormie comme si rien ne s’était passé. Il était minuit treize. Il rentra dans l’église et alluma quelques cierges. Tout était normal, plus de brouillard, plus de statue. Devant l’autel, il remarqua un tas de poussière et de cailloux. Il chercha une lettre, un couffin, quelque chose qui puisse attester de la présence de l’enfant dans ses bras. Rien, il ne trouva rien, referma la porte, traversa la placette et rentra chez lui. Il sortit un drap propre qu’il plaça sur son gros oreiller de plumes au milieu du lit et délicatement, il posa le nouveau-né dessus.

– « Je vais aller chercher de l’aide ! On doit te chercher… Ah, voyons ce bracelet… Oui, tu es bien un petit Corann, l’homme avait raison. »

Machinalement, il regarda l’horloge, il était minuit vingt, il sourit.
– « Pas de panique, ce n’est qu’une erreur ! »

Il alluma le poste à galène, à minuit trente il y aurait les infos de la nuit. Le bébé s’agita et pleura.

Confiant, il alla dans la cuisine, improvisa un biberon à l’aide d’un gant en perçant le bout du pouce. Le rempli d’un peu de lait et fourra le bout du pouce dans la bouche du gamin.

– « Tout les bébés sucent leur pouce, pourquoi pas toi ! »

Le nouveau-né téta avec application. Les évènements qu’il avait vécus défilèrent dans sa tête.

– « Alors là, je ne frise pas l’absurde, j’ai vraiment les deux pieds dedans … ! Je suis dans la merde ! Nous sommes vingt-quatre heures plutôt. Des heures que j’ai déjà vécues.

* Que m’a dit l’homme ?
* Que nous avions chacun vingt-quatre heures. Oui, c’est ce qu’il a dit.
* Que veut dire ce – nous -, Lui et moi. Lui et l’enfant. Lui, l’enfant et moi ?
* Que vais-je dire aux bonnes sœurs et au maire ?
* Que j’ai trouvé un bébé dans une église.
* Quand l’ai-je trouvé ? Il y a moins d’une heure …Une heure déjà !
* J’ai vingt-quatre heures, vingt-trois bientôt, mais pour faire quoi ? »

L’enfant s’agitait de nouveau.

– « Tu as faim, tiens ! »

Et il lui remit le pouce du gant rempli de lait dans la bouche.

– « Je n’ai que ça, je n’ai rien pour les bébés. Tu comprends, il n’y a pas eu de naissance ici depuis, pfft, au moins 30 ans. J’n’y connais rien aux bébés. Mais il faut que tu sois changé. En plus un bébé du lendemain, c’est bien ma veine !
A qui puis-je raconter ça et pourtant tu es là ! Te changer, avec quoi vais-je te changer ? J’n’ai rien ici, je pourrais peut-être te ramener dans l’église. Non, te laisser à la porte des bonnes sœurs ? Pourquoi pas ? »

Monsieur « patte en rond », le chat pépère regardait du haut de l’armoire cette nouvelle chose qui avait investi son creux de lit préféré, juste au milieu.

Il y avait eu des coussins, du fouillis, parfois des femmes, mais jamais ça ! Non jamais cette chose braillarde et remuante. L’odeur du lait l’a attiré comme un aimant, sautant souplement de l’armoire, il atterri sur le lit qui s’incurva au contact de son poids. Un peu hésitant, il regarda d’un air méfiant l’enfant, les narines frissonnantes, il s’avança lentement. Ne voyant rien venir, il étira son museau vers la bouche du nouveau-né. Un choc sourd, suivi de miaulements du chat firent sursauter Joseph, l’esprit occupé tout à la recherche d’un lange pour le bébé ! Il remonta quatre à quatre les escaliers en se reprochant de ne pas avoir pensé à faire la chasse au chat avant de quitter la chambre, imaginant déjà que ce fichu chat avait pu s’attaquer au bébé. Arrivé en haut des marches, sur le pas de la porte son inquiétude fut dissipée, le bébé était là sur le grand lit. Ne voulant plus subir de telle mésaventure, il rechercha le chat dans toute la chambre, allant même jusqu’à soulever le couvre lit et regarder au-dessus de l’armoire. Mais pas de chat !

Joseph remarqua sur la joue du petit, une touffe de poils.

– «  Bordel de chat ! Minou ! Minou ! Tu vas venir, oui !

Monsieur «  patte en rond », surnommé ainsi pour plus de facilité, restait introuvable. Soudain Joseph entendit dans la nuit un sombre déchirement, un bruit lancinant, douloureux dans son crissement prolongé. Minou, l’échine hérissée, les griffes plantées dans le tissu, glissait lourdement des doubles-rideaux en lacérant le madras indien.

– «  T’exagères, là… T’as vu le diable, ou quoi ? »

Joseph enferma le chat dans la cuisine et retourna s’occuper de l’enfant qui criait.

– « T’es pas bien vieux, toi. », Dit-il en le déshabillant avec précaution.

Le cordon ombilical juste cicatrisé attestait ses dires. Il changea le bébé et le garnit d’une grosse bande de ouate, ce fut la seule chose correcte qu’il trouva. Minou assit sur la table de la cuisine suivait avec attention les événements par la porte vitrée lorsque Joseph entra.

– « Tu ne bouges pas de là, toi ! » Marmonna-t-il en saisissant une petite cuillère à moka. « Ce bébé doit avoir soif ! » Dit-il, en sortant un broc d’eau de source.

Minou miaula doucement. Joseph retourna vers l’enfant. Oh, que ce fut périlleux de tenir le bébé au creux d’un bras tout en essayant de l’autre main de remplir une minuscule cuillère avant que de la glisser, pleine, dans la bouche du petit qui la tenait obstinément fermée.

– « Fais un effort ! »

La cuillère tinta légèrement entre les lèvres du bébé et Joseph remarqua deux petites perles.

– « Je ne savais pas que les nouveau-nés avaient des dents ! »

Minou l’avait appris à ses dépens, lui !

Deux petites dents toutes délicates et fragiles comme de la porcelaine. Joseph trouva aussi que l’enfant pesait plus lourd dans son bras.

– « Bon dieu j’ai l’impression qu’il a grossi depuis tout à l’heure, non, je me fais une idée »

Après avoir ouvert un bocal, il grignota quelque peu. Joseph remonta dans sa chambre et rejoignant le petit Corann, l’enfant baillant avait les yeux de l’enfant se fermaient doucement. Ils étaient lourds de sommeil et dans ce regard qui se voilait Joseph ressentait également la fatigue.

– « Allez ! Nous allons nous reposer un peu, de toute façon à cette heure nous ne pourrons pas faire grand-chose ! »

Il s’allongea à côté de l’enfant presque endormi. Il s’amusa pendant quelques minutes à accrocher son doigt à sa menotte, jusqu’à ce que le sommeil l’emporte. Joseph se réveilla en sursaut, son regard accrocha immédiatement l’horloge, il était quatre heures du matin. Il retira la petite main emprisonnée dans la sienne.

Une petite main ? Joseph alluma la lumière et resta en arrêt devant le spectacle du lange déchiré accroché à une jambe du jeune enfant encore dormant. Car c’était maintenant un jeune garçon de huit, neuf ans qui reposait sur le lit. L’enfant se réveilla et le fixa de son regard toujours aussi hypnotisant.

– « Je ne sais pas ce qui se passe, mais ce qui est sûr, c’est que cela sera plus facile de te nourrir ainsi ! »

A cette heure il pensait, qu’Ewen, son ami boulanger devait être réveillé.

– « Il aura bien quelque chose pour nous, tu veux une brioche ? »

L’enfant ne lui répondit pas, mais laissa échapper une grimace ironique. Joseph se sentit décontenancé face à cette réaction, hésitant il ne savait comment interpréter se sourire fugitif.

– « On va dire que cela veut dire oui ! »

Il s’habilla et noua l’enfant dans des vêtements trop grands, il s’apprêtait à le reprendre dans ses bras quand l’enfant glissa sur le sol et se mit à marcher.

– « Pourquoi cela me semble étrange ? C’est tout à fait normal, un enfant de cet âge marche tout seul et qu’importe s’il y a quatre heures, il n’était que nouveau-né ! »

Ils longèrent la rue déserte et silencieuse de la nuit.
Tout à fait normal à cette heure se dit-il, et s’avancèrent vers la boulangerie. Là, une situation anormale, pas de lumière filtrant sous la porte, ni de bruit s’échappant du fournil. Joseph regarda sa montre, il était 4h 45. Étant déjà, lors de ses nuits festives, venu chercher des brioches et du pain, même plus tôt, il savait que son ami devrait être réveillé. Joseph n’hésita pas et secoua vivement la porte de sa maison.

– «  EWEN ! EWEN ! »

Mais au bout de quinze minutes de cette litanie, rien ne s’était encore allumé dans la maison. Il se sentit démonté devant ce paradoxe du temps. Il repartit chez lui avec l’enfant !

– « Dis-moi jeune Corann, t’en pense quoi de tout ça ? »

L’enfant écarta les mains devant lui comme s’il voulait décrire la fatalité, mais ne répondit pas. Joseph tendit la main à l’enfant. Ils allaient s’en retournant lorsqu’ Ewen surgit dans le chemin sablonneux qui montait jusque la maison de Joseph. Il portait sur son dos un encombrant fagot de bois qui le courbait en deux.

– « Qu’est-ce que tu fais Ewen, je suis passé au four … »
– « Je vais réactiver le four à bois afin que les îliens aient leur pain. Tu peux m’aider ? C’est qui ce petit, un cousinage à toi ? »
– « C’est -Corann- et en accompagnant son ami, il lui raconta toute l’histoire.
– « T’as pas un peu trop fait « riboul » (la bringue) hier, paraît qu’on dansait et qu’on buvait pas mal du côté de Kerantraon. » à l’arrêt de la soif.
– « Je t’assure que j’étais dans l’église et que c’est là que j’ai trouvé Corann Je t’assure que nous y serons tous, ce soir. »
– « Tu es en train de me dire que tu t’es baladé dans le futur et que tu y as trouvé un nouveau-né qui en cinq heures est devenu un garçonnet ! Qui te croira ? »

Joseph regarda l’enfant, il avait encore grandit ! Corann tendit alors une main vers Ewen comme pour lui montrer la fine gourmette d’or enroulée autour de son pouce et où son nom était gravé.

– « Alors, tu me crois ! »
– « Je ne sais pas, mais tu es mon ami et il me faut bien t’aider ! »

Ils arrivèrent devant la porte de la maison qui servait de boulangerie. Ils s’activèrent à allumer le four du fournil. La pâte déjà travaillée attendait en petits tas sur la grande table farinée. Bientôt le vieux four en terre, revêtu intérieurement de briques réfractaires, ronronna et rougeoya, crachotant parfois quelques étincelles.

– «  Éloigne-toi du feu Corann »

Et Joseph lui donna de la pâte.

– « Confectionne donc toi-même ce qu’il te plaira de déjeuner. »
– « Dis-moi l’Joseph, tu l’as chopé ou ce phrasé, tu n’causes plus comme d’habitude.
– « Chut, regarde. »
L’enfant avait encore changé. Un duvet ornait maintenant sa lèvre supérieure, quelques poils sous le menton, ses épaules s’étaient étoffées. Avec application, il façonnait son déjeuner. Une boule qu’il voulait lisse et parfaitement ronde, qu’il posa avec précaution devant lui. Il prit ensuite un autre tas de pâte et commença à le modeler.

– « Mais que fait-il, Joseph ? »
– « Comment veux-tu que je le sache, cela ne fait que quelques heures que je le connais. »

Le jeune homme semblait concentré dans un travail incompréhensible. Il modelait de longues tresses de pâte qu’il refermait en faisant un nœud. Une, deux, trois tresses ! Puis toujours d’une manière aussi incompréhensible, il disposa la boule au centre de la planche et la ceintura des trois tresses en trois anneaux oblongs dont les nœuds formaient chacun un sommet du triangle. Il s’escrima ensuite pendant un long moment pour que l’intersection des tresses entre elles pour qu’elles ne forment plus de surépaisseur et se relient à la boule; au centre, puis l’air satisfait, il se tourna vers les deux hommes avec un air interrogatif.

– « Ouais, c’est très joli, mais un peu long à mettre en forme, ceci dit, je vais essayer de le vendre et je l’appellerai Corann, ça aura peut-être du succès. » Dit-il à Ewen en croyant par-là que l’enfant réclamait un compliment.

Mais le jeune homme éclata de rire.

– « Et bien tu vois Joseph, il est bien à l’image de la jeunesse d’aujourd’hui, aucun respect ! » Dit-il d’un air renfrogné.
– « Je crois qu’il veut nous faire comprendre quelque chose mais là, j’n’vois pas. Regarde Ewen, il n’arrête pas de fixer la pendule et la forme sur la table. »
– « Des tresses, des nœuds et la boule au milieu. La boule ça doit être la terre ? »

Il guetta un assentiment de l’enfant qui hocha la tête.

– « Les tresses et les nœuds, cela me rappelle quelque chose ! Je ne suis pas très féru en science, mais il me semble me rappeler d’une lecture dans un magazine. Une nouvelle théorie qui s’appellerait la loi des cordes et dont l’extrapolation mettait en évidence plusieurs temps distinct et qui pouvaient avoir des interpénétrations. »

Son œil noir se fixa sur l’enfant qui lui sourit.

– « Hé, dis donc le môme, tu me prends pour un scientifique ? J’n’m’appelle pas Galilée, qu’est-ce que tu attends de moi à la fin ? Pour la construction d’une machine à voyager dans le temps ! J’ai bien vu des plans dans « Le Petit Journal », mais c’était plutôt des pulls remontant à mon arrière-grand-mère. »

Les yeux de Corann s’agrandirent et d’un seul coup il sépara la boule de pâte des cordes qu’il avait façonnées. Le vieux four crachotait toujours, c’était l’heure d’enfourner le pain.

– « J’n’suis pas trop à la bourre ! Heureusement que je t’ai trouvé, tu m’as donné un bon coup de main ! Je vais faire du café, on aura bien le temps de le boire avant que le village déboule. Tu vois, Joseph, j’ai comme l’impression qu’on devrait parler de Corann aux autres. »
– «  Pourquoi ? »
– « J’n’sais pas, on est en train de vivre un truc incroyable, le genre de truc qu’il ne faut pas garder pour soi. A plusieurs on est toujours plus fort. »

Il était six heures vingt-huit. La nuit s’effritait doucement. Les bougies et le four teintaient encore de lueurs pâles et irréelles la longue table autour de laquelle les trois personnages s’apprêtaient à manger. Le café passé mêlait son odeur à celle du pain chaud et des brioches. Ewen sortit de grands bols, du sucre concassé, une motte de beurre salé.

– « Tu vas voir, le jeune, s’il n’est pas bon le pain de l’île. » Dit-il en tirant un pain de deux d’une claie d’osier.
– « Qu’allons-nous faire ? »
– « Mange donc Joseph, tu réfléchiras bien mieux ! »

Corann dévorait. Trois fois il se leva pour se servir du pain chaud qu’il tartinait de beurre. Mais lorsqu’il voulut se saisir de la sphère qu’il avait lui-même modelé, Ewen le retint.

– « Non, le jeune, ne mange pas de ce pain-là, prends donc ces brioches. »
– « Pourquoi ? »
– « Tiens, tu parles maintenant ! Ce pain si rond, j’ai envie de le garder ici. Tu veux de la confiture de lait ? J’dois en avoir un pot par là. »
– « C’est vrai ça, pourquoi tu ne veux pas qu’il mange son pain ? »
– « J’n’sais pas, une intuition comme ça. Dis-moi, tu te souviens des paroles de l’homme ? »

A suivre …

 

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

35 réflexions sur « La légende de l’île … !!! 1/2 »

  1. Bonjour Zaza .
    Nous avons toujours de belles journées pas très chaudes , mais pas trop froides non plus . Il ne faut pas se plaindre car nous sommes presque en hiver .
    Peut être que nous allons passer les fêtes sans neige , moi , ça ne me gène pas du tout , au contraire .
    Je te souhaite un bon Mardi .

  2. Bonjour Zaza,
    Mais le mystère ……reste entier après cette longue page à lire……..donc à suivre
    bonne journée
    amitiés

  3. Fascinante histoire ma Zaza, comme je les aime… Titillant l’imagination, éveillant nos âmes sensibles, nous invitant à nous assoir au coin du feu pour écouter la conteuse lover ses mots au creux de nos esprits. Bravo et merci!
    Enorme galère de réseau chez moi, j’ai eu les pires peines à publier mon article et j’ai du mal à valider mes commentaires, j’espère que celui-ci passera, je t’embrasse bien fort en espérant que tu ne souffres pas et que tu ailles mieux, gros bisous!
    Cendrine

  4. Chut… je ne dis rien.
    J’ai déjà lu l’histoire, mais il est bien agréable de la retrouver sur ta page.
    Merci, Zaza. J’aime toujours autant l’ambiance de tes contes.
    Tu es une merveilleuse conteuse.
    Bisous et douce journée.

  5. Coucou Zaza, j’ai déjà lu moi aussi mais comme j’ai oublié la suite, pardon, je me suis replongée avec autant d’émerveillement et d’inquiétude dans cette atmosphère à la fois fantastique, inquiétante et chaleureuse. Merci beaucoup, tu fais bien de nous l’offrir à nouveau, gros bisous.

  6. Hum une histoire mystérieuse qui nous entraîne dans le pays de Bretagne où les légendes sont des reines…

    Donc j’ai vu la suite, mais je n’ai pas posé mes yeux dessus, je lis toujours dans l’ordre, rire et j’aime beaucoup lire.

    L’étrange…Hum! Que nous réserves-tu aujourd’hui.

    Belle journée et bises

    EvaJoe

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