Pourquoi la mer est-elle salée ? – 2/2

Au moment de se mettre à table devant son éternel bol de soupe, il se prit à soupirer :

« Que j’aimerais, ce soir, manger un rôti de porc bien doré, comme celui de mes noces, il y si longtemps ! Et si ce coquillage avait réellement le pouvoir de … « 

Il prit son ton le plus sérieux et ordonna : 

 – « Petit coquillage des ondins, tourne, tourne sur toi-même et tourne un rôti en mes mains. »
 
La phrase était à peine achevée qu’un énorme rôti, doré à point, lui sautait dans les mains. De surprise, le vieux pêcheur lâcha ce mets tombé du ciel mais un second rôti semblable vint aussitôt le remplacer.
 
– « Oh là ! c’en est trop ! Petit coquillage des ondins, arrête ton moulin. Repose-toi jusqu’à demain. Jamais Pélage n’avait été à pareil festin. »

Il s’endormit en rêvant aux mille choses que le coquillage allait lui procurer désormais. Avant le soleil levé, il était sur le port, mais comme il appareillait, la lourde voile décorée et rapiécée se déchira brusquement. Au lieu de se désoler, il pensa tout de suite au coquillage qu’il avait en poche :

– « Petit coquillage des ondins, tourne, tourne sur toi-même et tourne une voile en mes mains. Une magnifique misaine rouge se déroula au pied du mât. »
 
Le marin se pressa de lancer la seconde formule. Il n’avait que faire d’une deuxième voile semblable car la barque était bien petite ! En voyant sortir le vieux canot arborant une fine voile rouge, les autres marins n’en croyaient pas leurs yeux.

Toile de Dany Wattier – Bateau à voile rouge

Depuis qu’ils connaissaient Pélage, jamais ils ne lui avaient rien vu de neuf. Où pouvait-il avoir trouvé de quoi s’acheter pareil gréement ?  

Quand, le lendemain, on le vit sortir de sa chaumière

portant vareuse encore craquante d’apprêt et sabots fleurant le bois fraîchement tranché, l’étonnement fut à son comble. Pélage avait-il vendu son âme au diable ? Il fallait savoir.

Le village dormait depuis longtemps déjà. Seule la lampe de Pélage brillait derrière les petits carreaux de la maison. La porte de la chaumière d’en face s’entrouvrit discrètement.

Sautant le mur, une silhouette vint se hisser jusqu’à la fenêtre éclairée. Le voisin avait été chargé de surveiller les faits et gestes du «  nouveau riche » !

Le pêcheur était assis devant l’âtre, un coquillage posé sur les genoux. Le voisin l’entendit nettement prononcer :

– « Petit coquillage des ondins, tourne, tourne sur toi-même et tourne une bûche en mes mains. »
 
Ébahi, le curieux vit une grosse bûche de chêne,

sortie d’on ne sait où, se placer en travers des genoux du bonhomme. Il en savait assez : s’il réussissait à se saisir de ce coquillage magique, sa fortune était assurée.

Ce n’était pas des voiles et des habits qu’il demanderait, mais de l’or et des diamants. Tapi dans l’ombre, il attendit que s’éteigne la lampe de Pélage. Il attendit encore et poussa la porte que le marin ne fermait jamais à clef car il ne possédait rien chez lui susceptible d’attirer les voleurs…

Le boulanger du port allumait son four lorsqu’il vit passer le voisin de Pélage, chargé d’un grand sac.
 
– « Déjà levé Younnic ? Où vas-tu si tôt avec ton barda sur le dos ? »

L’autre parut gêné et pressa le pas :

– « J’embarque pour Lorient où j’ai à faire. »
 
Il quittait en réalité le pays pour toujours car il emportait le coquillage magique et préférait être loin avant de s’en servir.
Ainsi personne ne soupçonnerait la raison de sa fortune nouvelle.

Une fois au large, il comptait d’abord faire changer sa barque en goélette, lui faire apparaître un équipage et aller aux Amériques où il aurait carrosse, château et jardins.  Il lui fallait pour l’instant gagner la haute mer avant que Pélage ne s’aperçût du larcin. Sur le coup de midi, il prépara une omelette sur le fourneau du bord. Mais dans sa précipitation il avait oublié à terre sel et poivre. Passe encore une omelette sans poivre, mais sans sel quel triste menu !
Mais mon coquillage va sûrement me venir en aide ! Que disait le vieux déjà ? Ah, j’y suis :

– « Petit coquillage des ondins, tourne, tourne sur toi-même et tourne du sel en mes mains. » 

Une poignée de sel blanc bondit dans la poêle.

– « Oh, oh : Pas tant, tu vas gâcher mon omelette ! Une autre poignée avait rejoint la première, puis une autre encore. »
– « Merci ! Merci ! C’est trop, j’en avais bien assez d’une poignée ! Arrête-toi ! »
Mais le sel continuait à s’amonceler sur le fourneau
– « Cela suffit ! Vas-tu finir, maudit coquillage ?… »

Le fond de la barque était maintenant recouvert d’une épaisse couche blanche qui roulait en vagues au gré du roulis. Younnic en avait jusqu’aux genoux et tentait en vain de se dégager, tandis que le bateau s’enfonçait lentement. Au prix d’un terrible effort, il put agripper le mât et s’y hisser.

Si seulement il avait pu retrouver le coquillage et le jeter à l’eau, sans doute cette marée de sel se serait-elle arrêtée. Mais le coquillage était lui-même enseveli on ne sait où. Younnic se sentit perdu. Le sel dépassait le plat-bord et retombait en cascade dans la mer. La barque n’allait pas tarder à couler bas.
Le marin saisit une brassée de lièges suspendus au mât et sauta à l’eau …

Quelques semaines plus tard, un trois-mâts faisait escale aux Amériques. Le cuisinier du bord s’appelait Younnic.
Un drôle de cuisinier, à vrai dire, car il refusait toujours de mettre du sel dans le rata de l’équipage.

On racontait qu’il avait été repêché en pleine mer, un morceau de liège en guise de bouée …

A Trévignon comme ailleurs, les pêcheurs s’aperçurent qu’ils ne rapportaient plus les mêmes espèces de poissons dans leurs filets; c’étaient maintenant des maquereaux, des sardines et des rougets. Voilà des poissons qui avaient du goût !

Et puis un jour, un petit enfant qui apprenait à nager au bord de la plage revint en hurlant vers sa mère :

– « Elle est salée ! Elle est salée ! »

On mit un bon moment à comprendre. Il avait avalé une gorgée d’eau et avait ressenti une soudaine brûlure, l’eau de la mer était salée ! On vérifia ici, on vérifia là. Partout la mer était maintenant salée…

Quelque part, au fond de la mer, un très vieux coquillage tourne sans cesse sur lui-même et l’on raconte qu’au large des Glénans, l’Océan est toujours plus salé en tout point du Globe.

Allez savoir pourquoi ?…

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

18 réflexions sur « Pourquoi la mer est-elle salée ? – 2/2 »

  1. il aurait du attendre et connaître la deuxième formule, voilà ou la cupidité mène, et je pense que beaucoup dans notre monde en veulent toujours plus et ne savent plus s’arréter, en voit cela dans les infos, mais superbe histoire de sel, j’aime beaucoup
    bises amicales
    lyly

  2. Bonjour Zaza.
    Depuis hier le Soleil a refait son apparition et il fait beau chez nous .
    La neige qui était tombée a vite fondue et pourtant il y en a eu une bonne couche .
    J’espère que chez toi il fasse beau aussi .
    Je te souhaite un bon mardi .
    Bisous de nous deux .

  3. Un joli conte, ma chère Zaza, et je me suis régalée de le lire. Par contre l’eau de me, berck!, j’aime pas boire la tasse. Gros bisous, ma belle, et superbe fin d’après-midi

  4. Pauvre Pelage qui a perdu son coquillage, lui ne demandait qu’un petit plus à sa triste vie, quand au voisin  » bien mal acquis ne profite jamais »
    J’ai aimé ton histoire
    Bonne soirée à toi
    Mandrine

  5. Il faudra peut-être retrouver le coquillage un jour pour l’arrêter.
    Mais qui se souviendra encore de la formule magique ?
    Merci pour ce conte, Zaza.
    Bisous et douce journée.

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