
– « Ne me tuez pas …ne me tuez pas …pour l’amour de Dieu ! »

Gémissait en français le soldat allemand en levant les bras devant le fusil du soldat américain qui tremblait autant que lui !

– « Tu parles français ? » S’étonna l’américain en répondant dans la même langue.
– « Oui, j’aime ce pays … »
– « Que fais-tu là et sans armes ? »
– « Je fuis la guerre pour de bon ! »
– « J’aimerai te croire ! »
– « Tu peux … »
Il y avait des larmes qui commençaient à couler lentement sur le visage couvert de poussière du soldat allemand. Ce n’était pas les larmes de peur, mais des larmes de lassitude, de fatigue !
Dans cette petite clairière au creux de la forêt, l’uniforme était déchiré, il n’avait plus rien de cette couleur qui avait fait trembler l’Europe et le monde pendant ces dernières années.
Les hommes ne sont-ils fiers que lorsqu’ils sont vainqueurs ?
– « Baisse les bras et assieds-toi, mais à quelques mètres de moi, je te tiens à l’œil ! »
Jack lui désigna sur un ton quelque peu autoritaire un coin d’herbe un peu humide pour s’asseoir. Il avait également besoin de repos et il s’assied ou plutôt se laissa tomber sur les racines d’un arbre pour prendre une cigarette. Il en proposa une naturellement à son prisonnier.
– « Merci cela fait plusieurs jours que je n’avais plus de tabac.
Il avait toujours les yeux humides, mais la cigarette fit naître une petite étoile dans ses yeux, comme s’il retrouvait l’humanité dans cette fumée qui se perdait dans un ciel couvert et venté.
– « Qui fais-tu là en pleine Normandie et sans armes ? »
– « Je viens de te l’expliquer, je fuis cette guerre. Je ne veux plus avoir à tuer. J’ai profité de la débâcle pour fuir ce qu’il restait de mon unité… »
– « Tu sais ce que tu risques, si les tiens te trouvent sans armes, ou si tu tombes sur quelques Français qui ont subi votre occupation pendant 4 ans ! »
– « Oui, j’ai décidé de mettre, Mein Leben in Gottes Händen… (ma vie dans les mains de Dieu) … »
– « Dieu n’a pas fait grand-chose pendant 4 ans … »
Helmut ne répondit pas.
Il ne voulait pas contrarier le soldat américain. Il ne savait même plus s’il croyait en dieu ou à autre chose.
Il regarda le soldat américain droit dans les yeux.
– « Je sais que je suis ton prisonnier et qu’à ce titre, c’est toi qui pose les questions, mais que fais-tu, toi aussi seul, avec ce regard un peu égaré. Où as-tu appris le français puisque nous nous exprimons tous les deux dans cette langue ? »
Tout à coup Jack se rappela …
– L’attente sur le bateau, l’énervement avec la peur au ventre !
– Puis tout à coup le déluge de feu, le bruit, ce bruit sourd des canons !
– Les cris, le sang, les cris, les copains qui tombent et les officiers qui crient !
– La peur au ventre, cette envie de fuir, de rentrer sous terre avec les taupes !
– Le ciel en feu, la mer en sang, des vagues de sang, la route de tous les dangers !
– Les copains qui restent figés lorsque la mort les a choisis, puis cette course sur la plage, le sable qu’on cherche pour s’y cacher !
– L’attente à nouveau avec cette peur damnée qui resurgit toujours, les cris toujours, les copains qui tombent encore !
– Les mètres gagnées et oubliés, le sable qui vole et devient rouge, les trous des obus où l’on se réfugie car la mort ne frappe jamais à la même place !
– Et cette petite fille, alors qu’il s’était abrité derrière un muret dans un bourg qui avait accouru derrière lui, sortant de nulle part. Elle s’était cachée derrière son dos, lui avait tapé sur l’épaule et lui avait demandé pourquoi, il avait deux grenades.
Il lui avait répondu, qu’il ne savait pas jongler avec trois et plus mais qu’il était très doué avec deux. Elle lui avait avoué qu’elle avait onze ans et qu’elle était en sixième année. Elle lui avait également dit qu’on avait enseigné aux enfants ce qu’il fallait faire quand ils trouvaient une grenade, américaine ou allemande.
– Et cette femme aussi, devant tes ruines tenant une large miche de pain dans une main, un couteau dans l’autre qui avait découpé maladroitement une tranche. Elle avait étalé dessus du saindoux qu’elle avait pris dans un pot. Cela faisait un mois qu’il n’avait pas mangé du pain et il avait le même goût que celui que sa mère faisait cuire…
C’était les seuls bons souvenirs depuis le D-DAY !
Helmut n’attendait pas de réponse immédiate. Il devinait ce que l’autre revivait. Rien qu’à scruter l’expression de son regard, il comprit l’ampleur de son désarroi !
Les larmes avaient changé de camp, tout à coup !
– Quelles sont leurs limites ?- Possèdent-elles un accent ?
– Nécessitent-elles un refuge ?
– Ou, ne sont-elles que des brumes qui voyagent d’âmes en âmes ?
Les deux hommes restèrent ainsi cinq bonnes minutes à se dévisager, à se nourrir de ténèbres et à tirer sur leur cigarette avant que Jack ne lâche :
– « Je suis tombé de fatigue et de lassitude dans un fossé et lorsque je me suis réveillé, j’étais seul … »
Helmut se mit à partir dans un rire nerveux malgré tous les efforts pour se contrôler et ne pas froisser l’américain.
– « Tu devrais mieux avouer que tu as déserté… »
– « Non ! » S’insurgea Jack qui se releva tout à coup en colère, et je pourrais te tuer sur le champ sans que personne n’y trouve à redire ! »
– « Tu n’aimes pas tuer, » ça se lit dans ton regard !
– « C’est vrai, mais y-a-t-il beaucoup d’hommes pour aimer ça? » Lâcha-t-il avec fatalité.
Helmut haussa les épaules avec insolence pour bien montrer que la réponse lui paraissait tellement idiote…
– « Ok ! Tu as raison, les hommes sont tous devenus fous. Ceux qui ont fui le vieux Continent il y a un ou deux siècles, pour fuir la misère ou les guerres d’Europe, ont pourtant refait la guerre aux indiens, réinventé l’esclavage et fait une guerre fratricide de sécession ! Alors je vais te parler de la langue de Molière. »
Tout à coup Jack se rappela.
Il ouvrit la fenêtre du passé pour raconter le Jazz.
Avant la guerre, il ne vivait presque exclusivement que pour lui.
Comme il souhaitait en jouer dans le monde entier et que son ami Dirk voulait fuir le racisme ambiant, ils avaient quitté Chicago pour monter à Paris en 1936.
Lui au piano et son ami Dirk à la trompette se produisaient alors dans un petit cabaret de la capitale et c’est là qu’un soir, qu’il avait rencontré Marie.
Elle distribuait des tracts pour le parti Communiste et croyait que la révolution, la liberté et la paix pour tous les peuples étaient en marche pour libérer le genre humain.
La première fois qu’ils s’étaient rencontrés, ils s’étaient disputés car elle l’avait agressé en lui lançant, qu’elle combattrait l’impérialiste américain partout où il se trouvait même dans la musique.
Provocatrice, elle avait collé un trac sur son piano, qu’il avait arraché nerveusement, mais lorsqu’il avait entamé un peu plus tard, quelques airs de Jazz délicieux et endiablés à la suite, elle s’était laissée séduire et avait accepté de boire un verre pour débattre au milieu de la nuit.
Le débat avait continué toute la nuit, pour finir dans un lit qui avait connu leurs premiers ébats amoureux !
Il parlait mal le français à l’époque mais rapidement, par amour, il avait progressé. Ils avaient ainsi vécu heureux pendant plus de trois ans entre jazz, amour, disputes idéologiques et politique.
Mais la mère de Jack est brusquement tombée gravement malade.
Elle lui avait écrit pour lui demander de rentrer rapidement au pays. Il avait alors proposé à Marie de se marier au plus vite et de partir ensemble s’installer aux états unis, mais c’était trop lui demander. Elle ne pouvait pactiser ainsi avec l’ennemi !
Il partirait sans elle, le temps que sa mère se rétablisse pendant qu’elle retournerait chez ses parents en Bretagne. Ils s’étaient disputés, elle lui avait griffonné son adresse sur un bout de papier.
Il avait oublié d’en faire autant et c’est là que tout espoir de la retrouver s’évanouirent, car pendant le trajet en bateau vers les states, il avait égaré le seul lien qui lui restait avec elle.
– « Tu n’as pas essayé de faire des recherches avec vos connaissances à Paris et de venir la rechercher ? » Demanda Helmut qui attendait que l’autre se taise pour raconter sa propre histoire.
– « Si bien entendu mais tout le monde avait perdu sa trace et puis la guerre est arrivée ! Je me suis engagé en 1943 avec pour seule et unique idée d’enfin la retrouver !… »
– « Et tu crois pouvoir la retrouver dans toute cette pagaille ? »
– « Je ne pense qu’à ça ! »
– « Sais-tu que ton histoire ressemble presque à la mienne ? »
– « Impossible ! … »
– « Tu penses certainement que les Allemands ne tombent jamais amoureux ! »
– « Si mais… »
– « Alors ? »
– « Ce serait extraordinaire que tu joues du jazz et que tu sois amoureux d’une communiste ! »
– « Non je ne joue pas du jazz mais je suis professeur de musique … »
– « Professeur de musique ? »
– « Oui j’enseignais le violon et le piano à Berlin lorsque j’ai rencontré Greta, mais les choses se compliquant sérieusement pour elle, nous avions choisi de nous exiler à Metz … »
– « Pourquoi les choses se compliquaient pour elle ? »
– « Elle est juive et en Allemagne, c’est encore pire que d’être communiste ! »
– « Excuse-moi, je comprends. Ce ne devait pas être facile. »
– « Je ne sais pas si tu peux comprendre, moi-même je ne comprenais pas et je ne comprends toujours pas cette haine du juif, de la différence ! »
– « J’ai lu des choses affreuses là-dessus aux États Unis. »
– « J’ai peur que la réalité soit bien pire encore, bref, je continue mon histoire. J’arrivais à vivre de quelques cours à Metz mais c’était difficile car pour les français nous n’étions souvent que des ennemis surtout moi. Hitler ne faisait rien pour arranger nos histoires. Puis le 16 août 1939, mon père meurt en Forêt noire. Je rentre en urgence au pays pour les obsèques et toutes les formalités et tu connais la suite … Hitler envahit la Pologne … la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne le 1er septembre 1939. Impossible de repartir, je suis mobilisé, je fais la campagne des Ardennes puis ensuite, je fais partie des troupes d’occupation en France. Là, je comprends rapidement qu’il serait dangereux pour elle d’essayer de reprendre contact avec Greta … »
– « C’est elle que tu étais parti retrouver ? »
– « Oui… »
Ils continuèrent ainsi à parler pendant une bonne heure.
Ils se montrèrent les photographies de leur amour respectif pour s’apercevoir qu’elles ne se ressemblaient un pas du tout. L’une brune et volontaire, l’autre bonde et douce, avant qu’un lapin ne s’échappe à quelques mètres d’eux et qu’Helmut avoue presque honteusement :
– « Je n’ai rien avalé depuis deux jours. Tu n’as rien à manger yankee ? »
Jack chercha désespérément dans ses poches mais il connaissait la réponse.
– « Je n’ai plus qu’une pomme, j’ai fini mes rations de combat. »
Il coupa la pomme en deux et ils avalèrent même les pépins, puis terminèrent une petite flasque de Whisky qui leur donna un peu de baume au cœur, l’espace d’un instant. Puis ils reprirent leurs confidences et parlèrent de leurs espérances en la paix et en la construction d’un foyer heureux avec une femme, des enfants, un feu dans la cheminée, la radio qui diffuse des chansons et de la musique.
Excellent 1 de 3 ! Je suivrai, Zaza !
Bonne semaine,
Bises♥
Etroits chemins d’humanité entre la vie et la mort
Un récit magnifique, bouleversant qui parle aux entrailles aussi bien qu’à la tête
Magie d’un ressenti et effroi toujours présent
Gros bisous ma Zaza et merci pour ce substitut littéraire
Cendrine
Que d’humanité dans tes mots!
Cette galère, ils la vivent depuis longtemps à cause de la folie d’un homme.
J’aimerais que la suite soit heureuse mais ..c’est toi qui décide..
Bises du jour
Mireille du sablon
Une belle histoire ! J’attends la suite
Un très beau récit, des 2 côtés il y avait des hommes bons , je vais te suivre avec un très grand plaisir.
Très belle journée, bises
Bonjour, une super histoire mais les guerres sont souvent la vengeance pour un proche disparut, tuer devient une évidence.
Poignante histoire !!! oh ma ZAZA tu serai près de moi je t’embrasserai
Prolongation du weekend , de mai à juin que de jours fériés !!! pour l’instant on a du soleil , demain la pluie est prévue de nouveau décidément , le printemps n’aura pas était à la hauteur de nos attentes . Bonne journée bises . Bonne semaine ZAZA
Tes mots sont émouvants
Merci tout simplement
Bonne journée
Bisous
Bonjour Zaza,
Voilà une belle histoire qui est bien le reflet de ses 4 années de guerre ou seul les gradés répondaient à Hitler qui eux commandaient ses pauvres soldats allemands après les avoir endoctrinés pour le combats (on dit même qu’il était sous l’emprise de la drogue voir l’incroyable épopée du projet D-IX et de la méthamphétamine, dont la distribution massive aux soldats du Reich a certainement changé le cours de l’histoire )
A suivre car le but est la recherche de Greta…..
Bonne fin de journée
Amitiés
TRès bonne histoire bien intéressante, je reviens demain.
Belle journée, bises
La guerre est toujours aussi moche,mais chaque homme pris séparément reste un homme !
Bonjour Zaza
Une histoire très émouvante,à demain pour la suite. Bonne semaine bises
émouvante histoire ma Zaza. gros bisous. cathy
Merci pour cepartage Zaza
Je te suis avec grand plaisir
Bises
Bonjour Zaza, un très beau récit et bien sûr je te suis, bisous et bonne journée MTH
Merci
tres belle cette histoire, de rencontre americano/allemande apres le D-Day, deux soldats à la recherche de leur amour ! merci Zaza bon lundi bisous
Ne jamais oublier qu’ils ne sont que des hommes que les grands de ce monde manipulent et déshumanisent. Plus jamais la guerre. Bisous Zaza et merci pour tes mots.
C’était une rencontre tout de même très spéciale, mais j’espère que tout se terminera bien pour ces deux « combattants » pas si belliqueux que ça ! Chris
Je suis épatée et chouette que tu ais aussi voulu faire revivre ce monde qui semble si ancien aux jeunes.
La guerre fait tant de dégâts.
Et pour les juifs hélas encore aujourd’hui ils sont dénigrés.
J’ai souri en voyant que tu nommais Metz.
Chez nous un tableau donné par une vieille voisine, fait par le prisonnier de guerre allemand travaillant chez eux.
Bises et merci
J’adore ton histoire du D-DAY, j’ai hâte de lire la suite.
Bises et belle journée
Un excellent début qui donne vraiment envie de connaître la suite. La rencontre de deux ennemis que tout oppose apparemment mais qui se retrouvent aspirant à un même but. Bravo Zaza
C’est un superbe début d’histoire. J’attends la suite…
Belles plume et imagination ma Zaza
Bisous du lundi
Bonjour Zaza !
Dans la folie de la guerre, tout peut arriver
… même le meilleur ! 😢
Bonne journée !
Pierre
https://rotpier27.wordpress.com/
Une histoire émouvante à suivre
Bisous Zaza
Suis curieuse de connaitre la suite .