Chapitre I

Notre Nestor Boyaux, dans sa semi retraite en pays Gallo, était en train de lire les dernières nouvelles d’Ouest-France lorsque le téléphone résonna :
Il alla décrocher l’appareil téléphonique.
– « Allô ? Monsieur Nestor Boyaux… »
– « Oui, c’est moi. »
C’était une voix de femme.
Mais une voix faible, comme malade et fatiguée.
– « Parlez plus fort », recommanda-t-il.
– « J’aurais un service à vous demander. »
– « Qui êtes-vous madame ? »
– « Madame Aude Javell, des peintures FELOR à Verne-sur-Seiche. »
Javell des peintures FELOR…. Ce nom rappelait quelque chose à Nestor.

Il se souvenait que les Javell étaient des précurseurs en composition de peintures à base d’algues. Il se rappelait aussi avoir lu dans les journaux qu’Alcide Javell, le mari d’Aude, s’était suicidé il y a une vingtaine d’années après avoir trucidé sa belle-sœur, la sœur d’Aude.
– « Madame Aude Javell ? » répéta Nestor.
– « Oui, madame Aude Javell, veuve d’Alcide Javell. »
– « Ah !… »
C’était donc bien la femme du meurtrier.
La femme de celui qui avait tué il y a plus de vingt-ans.
– « Que puis-je faire pour vous, madame ? »
– « On dit que vous ne refusez jamais de rendre service… d’ailleurs je puis payer. »
– « Je n’accepte jamais d’argent. »
– « Je vous donnerai quand même cinq mille euros si vous pouvez faire ce que je vous demande. »
– « Qu’est-ce que c’est ? »
– « Vous avez un appareil photo argentique pour prendre des photos.. »
Nestor Boyaux resta saisi.
– « Mais oui, il doit m’en rester un avec deux rouleaux de pellicule vierges…  »
– « J’aimerais que vous veniez chez moi photographier ma vache. »
– « Quoi ? Une vache !… »
– « Ne soyez pas surpris », fit la dame, « je veux que vous preniez quelques  photographies. »
– « Mais pourquoi ne pas appeler un photographe ? »
– « Je n’ai pas le temps de vous expliquer. Acceptez-vous ? »
Nestor trouvait la proposition originale.
– « Je pourrais y aller. »
– « Je vais vous expliquer immédiatement où se trouve ma vache. Vous n’aurez pas besoin de venir à la maison. »
Elle lui fit une description complète de l’endroit où se trouvait l’animal.
– « Je veux que les photographies soit réussies. »
– « N’ayez crainte. »
– « Au revoir et merci. »
Elle raccrocha.
Nestor Boyaux se mit à sourire :

– « Curieuse affaire », dit-il. « Photographier une vache, et avec un appareil argentique en plus, elle n’est pas banale celle-là ! ».
C’était bien la première fois que Nestor acceptait une aussi curieuse mission.
Il monta à sa chambre. Il ouvrit une valise et ressortit son vieil appareil argentique, ressortit aussi de son réfrigérateur les deux rouleaux de pellicule qui lui restaient. Il en chargea une dans l’appareil, et mit la seconde dans la poche de son pantalon.
Quelques minutes plus tard, il prit sa voiture pour se rendre sur place.
Grâce à la description complète que lui avait faite madame Aude Javell, il trouva immédiatement le pré dans lequel se trouvait la fameuse vache.
À gauche, on voyait un petit lac, à droite la propriété des Javell, située dans le bassin de la vallée de la Seiche.

Nestor sortit son vieil appareil, ajusta son modèle et prit quelques photos.
Mais soudain il entendit un bruit de pas. Il se retourna et aperçut un jeune homme qui s’approchait, une carabine à la main.
– « Qu’est-ce que vous faites-la ? »
– « Vous le voyez bien. »
– « Vous prenez des photos » ?
– « Oui. »
– « De la vache ? »
– « Mais oui. »
– « Vous n’avez pas le droit. »
– « Mais pourquoi ? »
– « C’est défendu, c’est tout. »
– « Mais c’est madame Aude Javell elle-même… »
– « C’est faux. »
– « Je vous dis que c’est vrai… »
Le jeune homme se rapprocha.
– « Faux ou vrai, vous allez me suivre ? »
– « Où ? »
– « À la maison. »
– « Pourquoi ? »
– « Ce sont les ordres. »
– « Les ordres de qui ? »
– « De madame Javell, elle-même ! Elle m’a dit, il y a quelqu’un dans le champ qui prend des photos de la vache. Allez le chercher et ramenez-le moi ! »
– « Bon, bon, je vais vous suivre. »
Nestor ne pouvait faire autrement.
Il n’avait pas envie de recevoir une décharge de plomb dans les fesses.
Il se dirigea vers la maison suivi du jeune homme.
Rendu à la porte, le jeune homme commanda :
– « Montez l’escalier. »
Nestor obéit.
– « Première porte à droite. »
Il entra et aperçut une femme d’un certain âge. Elle était maigre et très pâle, elle semblait malade.

– « Bonjour monsieur Boyaux. »
– « Bonjour madame. »
– « Je suis madame Aude de Javell. »
– « Laissez-moi vous dire tout d’abord… »
– « Que j’ai une drôle de façon de vous recevoir ? C’est vrai… »
– « Vous avouerez vous-même que … »
– « Je sais, je sais. Elle lui fit signe.
– « Approchez-vous. »
Nestor obéit.
– « Je ne voulais pas que vous partiez sans me remettre les originaux de vos prises de vue… »
– « Mais je serais venu vous le porter une fois développées. »
– « J’aimais mieux ne pas prendre de risques. »
Nestor tenait son appareil en mains.
– « Donnez-moi la pellicule. »
Nestor n’obéit pas tout de suite et se faisait tirer l’oreille.
Le jeune homme à la carabine le poussa avec le bout de son fusil.
– « Vous avez entendu. »
Nestor Boyaux commençait à en avoir assez.
Il se retourna brusquement et donna une poussée au fusil en envoyant son poing à la figure du jeune homme.
Ce dernier s’affala à terre.
La vieille dame se mit à crier :
– « Nicaud ! Nicaud ! »
Nestor bondit et lui mit la main sur la bouche.
– « Pas un mot, si vous voulez la pellicule. »
Il embobina complètement la pellicule, la sortit de l’appareil et la remit à Aude Javell.
– « Pourquoi avez-vous frappé Nick Hottine ? »
– « Son fusil me fatiguait. »
La dame regarda le rouleau de pellicule naïvement.
– « Je vous remercie infiniment », dit-elle. « Pouvez-vous revenir dans une heure. »
– « Pourquoi ? »
– « Tout d’abord, je vais regarder vos prises de vues dans la chambre noire destinée au développement de photos. Ensuite je vais vous payer… et puis, je vais vous raconter une histoire… »
– « Une histoire ? »
– « Une histoire d’assassinat. »
Et elle ajouta à voix basse :
– « Mon propre assassinat. »
– « Que me racontez vous là madame ? » Interrogea-t’il.
– « Revenez dans une heure. »
Il allait sortir quand Aude Javell le rappela.
– « Pourriez-vous descendre Nick ? »
– « Le descendre ? »
– « Oui à la porte d’entrée, vous trouverez l’automobile, asseyez-le dedans et essayez de lui faire reprendre ses esprits, le coup que vous lui avez assené l’a laissé KO ! »
Nestor empoigna Nick Hottine et le mit sur son épaule. Il descendit l’escalier.
L’automobile était bien à la porte.

Il ouvrit la portière de la voiture et fit asseoir le jeune Nick sur le siège.
– « De l’eau », pensa Nestor.
Il se décida à faire le tour de la maison pour y chercher de l’eau, mais n’en trouva pas.
Il revint à l’automobile.
Il ouvrit la portière.
– « Diable ! »
Nick Hottine avait disparu.

Que voulait donc dire la vieille dame ?
Nestor était-il tombé dans une maison de fous ?
Que voulait dire cette histoire d’assassinat ?
Et ce Nick Hottine, où avait-il disparu ?

A SUIVRE …