La quintessence de la sapience du mardi 17 octobre 2023… !!!

Message de Lilou Soleil : « Vous connaissez des expressions anciennes ? Vous en connaissez des rigolotes, des savoureuses, des savantes fleurant bon notre France ? N’hésitez pas, joignez-vous à nous et publiez… »

Expression :

« Avoir vu le loup. »

Signification :

• Avoir eu des relations sexuelles pour une jeune fille.
• Avoir perdu son innocence, en s’abîmant dans les voluptueux plaisirs de la chair, hors des liens du mariage, en parlant d’une fille.

Origine et définition :

La Comédie des ânes (Asinaria) est une comédie de Plaute écrite vers 212 avant Jésus-Christ, et nous savons que « homo homini lupus est » ( l’homme est un loup pour l’homme ).
Pline l’Ancien, Rabelais, Agrippa d’Aubigné, Francis Bacon, Hobbes, Schopenhauer ou Freud n’ont fait que reprendre cette pessimiste locution pour la mettre à leur sauce, confirmant cependant le caractère agressif de leurs contemporains humains alors que le loup qui n’avait rien demandé !
C’est au XIV^ème siècle, que le conte populaire « Le Petit Chaperon Rouge » met en scène le loup et la jeune fille. La pauvrette qui l’aura vu changera son regard à tout jamais sur les hommes.
« Voir le loup » fut en effet conçu pour marquer pudiquement ce passage par le lit de mère-grand qui n’était pas vraiment l’aïeule supposée mais plutôt un vil prédateur déguisé. Plutôt que le laisser dans son plus simple appareil, la sagesse pudibonde préféra l’accoutrer d’une toison fournie.
La morale réfutant donc la « zigounette » et son usage, imposa « voir le loup », laissant au passage planer plus d’un doute sur les bienfaits de la « Chose » qu’un certain Donatien Alphonse François de Sade s’évertuait par ailleurs à décrire comme plaisante au XVIII^ème siècle.
Au XVI^ème siècle, « la danse du loup » désignait l’acte sexuel, alors qu’au XVII^ème, « danser le branle du loup » voulait dire « faire l’amour ».
Exercice pour ce soir : « dis-moi chéri(e), et si on dansait le branle du loup ? »
Au fil du temps, la perte des valeurs liées à la chasse au loup, a transformé la signification de l’expression en la mêlant à celle des deux autres locutions, tout en y gardant le sens d’ « expérimenté » : la jeune fille qui a « dansé le branle du loup » a maintenant de l’expérience dans ce domaine, même si elle n’est que balbutiante.
L’expression aurait pu simplement être : « avoir dansé le branle du loup ». Mais, avec le mot « branle », elle aurait été trop explicite et comme il ne fallait parler de ces choses-là qu’à mots couverts…
Enchaînant coup sur coup faits d’armes du loup « bouffeur » de Chaperon rouge (version Charles Perrault) et ravages sanglants de la Bête du Gévaudan, le bon peuple de France termine le XVIII^ème siècle avec une certaine appréhension à l’idée de « voir le loup ».
La baiselette * qui ne rêvait que de le « voir, ce fameux loup », devra patienter et attendre 1968 pour se libérer sexuellement et scander : « Faites l’amour pas la guerre »…

*  Baiselette = Jeune fille

Complément :

Cette expression de nos jours a perdu cette connotation sexuelle.
Le loup, revenu naturellement depuis l’Italie, est observé pour la première fois dans le massif du Mercantour en 1992, et étend son territoire.
La nouvelle vision de la population française pour cet animal, sera enfin de pouvoir en tâter la queue et lui caresser le poil.
Officiellement, depuis cette date, et pour la première fois depuis longtemps, on « voit le loup » et on l’observe.
Les prises de parole de très dignes représentants de l’autorité administrative, annonçant à grand renfort de conférences de presse qu’en France on peut « voir le loup », ont fait sourire les libidineux !
Suprême paradoxe, c’est donc la réintroduction du loup qui fait disparaître « voir le loup » de l’expression orale.
Notons que l’animal ne s’en porte pas plus mal !

Exemples :

« Nana reniflait, se grisait, lorsqu’elle sentait à côté d’elle une fille qui avait déjà vu le loup. Longtemps elle s’était mise auprès de la grande Lisa, qu’on disait grosse ; et elle coulait des regards luisants sur sa voisine, comme si elle s’était attendue à la voir enfler et éclater tout d’un coup. »
Zola – L’Assommoir

T’as vu, Lolita, ta pote Marylou
Qu’a quinze ans comme toi, qu’j’ai connue bout d’chou
T’as vu comme elle a changé tout d’un coup?
Eh ben, ma Doudou, elle a vu le loup
J’vais pas lui r’procher, eh! C’est pas un crime
A peine un péché et des plus minimes
D’après sa copine qui l’a balancée
C’est à la mi-août qu’elle a vu le loup
Renaud – Elle a vu le loup !