La quintessence de la sapience du mardi 2 mai 2023… !!!

Message de Lilou Soleil : « Vous connaissez des expressions anciennes ? Vous en connaissez des rigolotes, des savoureuses, des savantes fleurant bon notre France ? N’hésitez pas, joignez-vous à nous et publiez… »

Expression :

« UNE NUIT BLANCHE »

Signification :

• Une nuit sans sommeil.
• Une nuit passée sans dormir.
• Être insomniaque.

Origine & définition :

Faire « nuit blanche » n’est pas l’apanage des fêtards et des noctambules, associée maintenant aux bambocheurs…
Autant vous l’avouer d’entrée, il n’existe aucune certitude quant à l’origine de cette expression qui date du XVIII^ème siècle. Et pourtant, vu la taille du texte ci-dessous, il y a tout de même beaucoup de choses à dire.
On en trouve une attestation en date du 30 octobre 1771 dans une lettre de la marquise du Deffand, Marie de Vichy-Chamrond alors âgée de 74 ans, à l’homme politique et écrivain anglais Horace Walpole. Elle y écrit ceci :
« Vous saurez que j’ai passé une nuit blanche, mais si blanche, que depuis deux heures après minuit que je me suis couchée, jusqu’à trois heures après-midi que je vous écris, je n’ai pas exactement fermé la paupière ; c’est la plus forte insomnie que j’ai jamais eue. »
Comme il ne semble pas exister de traces antérieures dans la littérature française, certains auteurs émettent l’hypothèse que c’est elle qui a inventé ce terme. Mais comme on le trouve dans d’autres ouvrages postérieurs moins d’un an et demi après, il n’est pas certain que cela soit le cas.
Commençons par la proposition la moins originale mais probablement la plus véridique.
Vous n’êtes pas sans savoir que, dans notre belle langue, le qualificatif blanc indique très souvent un manque. (Absence de couleur).
Et si vous en doutez, il vous suffit de vous rappeler les expressions voix blanche (pour une voix sans timbre), tir à blanc (tir qui se fait sans balle), examen blanc (examen dont les résultats sont sans conséquence sur le classement), mariage blanc (mariage sans union sexuelle) ou, pour clore une liste non exhaustive, « faire chou blanc » pour indiquer une absence de résultat.
De ces exemples, et même sans connaître le sens de l’expression, il est assez facile d’imaginer qu’une nuit blanche est simplement une nuit sans sommeil.
Toutefois, une autre hypothèse, nettement plus vraisemblable, cette fois, car elle respecte la chronologie, nous vient de Saint-Pétersbourg, en Russie.
À l’époque du règne d’Élisabeth, puis de Catherine II, la cour royale dans cette ville, (qui je le rappelle, était alors la capitale du pays), était fréquentée par de nombreux Français, en été principalement.
Or, à cette époque de l’année et à cette latitude, les nuits sont loin d’être vraiment noires, le soleil ne se couchant jamais complètement.
Et dans ces années-là, tradition perpétuée actuellement par le festival des Nuits blanches de Saint-Pétersbourg, la vie « nocturne » battait son plein. Autant dire que ceux qui participaient aux bals et autres fêtes tardives passaient des nuits doublement blanches : à la fois, par l’absence de sommeil et par la luminosité de la nuit.
Il se peut donc tout à fait que le terme russe « белые ночи » (nuits blanches) ait été rapporté et popularisé chez nous par les Français qui passaient du bon temps là-bas.

Complément :

Bien entendu, on peut trouver quelques autres explications, en particulier sur Internet où la plus répandue, et certainement la plus fausse, qui évoque, la nuit précédant leur adoubement, que les chevaliers devaient rester éveillés dans une tenue entièrement blanche.
C’est certes un rituel de chevalerie qui date du Moyen Âge, une hypothèse séduisante défendue par certains linguistes !
Mais si cette explication était la bonne, il faudrait expliquer pourquoi il a alors fallu attendre la deuxième moitié du XVIII^ème siècle pour trouver la première trace écrite de cette expression, plusieurs siècles après cette coutume de chevalerie.
Et pour étayer cette supposition :
Dans les récits arthuriens, les illustres chevaliers Lancelot, Perceval et Gauvain suivent ce rite. Chrétien de Troyes, poète du XII^ème siècle, est le premier à décrire cette veillée.
« Li vallet jusqu’aprés matines
Al mostier en estant vieillerent,
C’onques ne s’i ajenoillierent »
 
Quoiqu’il en soit, chevalier pieux ou aristocrate fêtard, il semble que la nuit blanche a été pendant des siècles plutôt un privilège de classe.

Exemples :

 « Voilà une cascade de sottises qui donnera beau jeu aux rieurs, et que je recommande à votre bonne humeur et à vos nuits blanches à force de rire.
Tâchez pourtant, tout en riant, de dormir un peu. »
Voltaire – Correspondance avec M. d’Alembert – 1821