LES CONSIGNES DE LILOU, CLIC.

Son thème : « Temps Suspendu »
Le mot de Lilou : « Capturer des moments éphémères, des gestes ou des scènes où le temps semble s’être arrêté. Peut-être figuratif ou abstrait. »

Une petite découverte intéressante pour terminer ce mois d’octobre et clore ce thème du « Temps suspendu ».
Alex Berdal que je ne connaissais pas, l’a très bien illustré.
Je vous propose donc 2 œuvres qui ont attiré mon attention avec l’analyse de ces deux toiles sur le site, ICI.

Le panier aux œufs – Alex Berdal

Six pommes et six œufs dans un panier d’osiers sont disposés sur une table vert sombre.
Ce tableau a fait partie de la collection de Paul Sonnenberg, qui l’a acheté en 1970.
Trois œufs ont roulé hors du panier, deux vers l’avant, un sur le côté droit.
Une pomme est tombée à l’arrière.
L’ensemble frappe d’abord par sa frontalité et sa symétrie. L’œil est attiré par la clarté des œufs, qui tranchent nettement sur le fond sombre. La matière picturale est animée par des touches de pinceau énergiques qui accrochent la lumière.
Comme toujours chez Berdal, le choix des objets n’est pas anodin.
Les pommes renvoient à la maturité, elles évoquent la vie en train de s’accomplir, le cycle organique.
Les œufs, eux, sont promesses de renaissance, des germes potentiels : ils sont encore à naître.
Le fruit est inscrit dans le présent, l’œuf en lui porte le futur, réunis dans le même panier de l’existence temporelle.
Mais ils ne sont pas tous réunis, certains sont tombés sur la table. Une pomme se cache contre l’osier, laissant les cinq autres, bien en lumière. Trois œufs restent nichés parmi les fruits, trois autres ont roulé en dehors.
La pomme tombée est-elle le fruit de la connaissance qui a fait chuter l’homme du jardin d’Éden ?
Cette pomme qui a quitté l’ordre évoque plutôt la chute, l’exil, l’humanité sortie de l’harmonie première. Elle symbolise la perte au sens théologique et existentiel.
Le nombre cinq, cinq pommes restant dans le panier, représente le chiffre de l’Homme (comme représenté par Léonard de Vinci dans l’Homme de Vitruve). L’homme dans la symbolique chrétienne et judaïque, les cinq plaies du Christ ou l’étoile de David à cinq branches. Le panier devient alors représentation du temps qui emprisonne l’humanité incarnée dans le poids des jours.
Mais on s’interroge alors : pourquoi les œufs sont-ils regroupés trois par trois ? Trois, c’est le chiffre de la transcendance. On peut voir alors ce tableau comme une vanité inversée.
Il ne dit pas « Souviens-toi que tu es mortel » mais représente l’espoir que la spiritualité apporte à l’homme. C’est une mise en image de l’humanité dont les possibles se situent sous le signe du divin. L’homme, niché, protégé ou emprisonné dans la corbeille du temps est sous la protection de Divin : les trois œufs veillent sur les cinq pommes.
La renaissance, sous le trait des trois œufs échappés, ne peut venir que de l’éveil au spirituel, quelle que soit la religion choisie.
En intitulant l’œuvre Panier aux œufs et non Panier d’œufs ou Œufs et pommes, Berdal nous oriente vers ce qui est important dans sa composition : le panier est le temps qui contient l’homme et l’oriente inexorablement vers la maturité irréversible. Les œufs sont le symbole de la protection divine et d’une possible évasion/résurrection.

Près du lac – Alex Berdal

Sur la berge d’un lac, une silhouette allongée, solitaire, dort à l’ombre d’un tronc massif.
La silhouette endormie, tournée vers le lac, semble s’être glissée dans l’image comme en retrait du monde. Rien ne la regarde, rien ne la désigne, rien de bouge. Et pourtant, c’est elle qui organise silencieusement l’espace.
Le cadrage découpe le tableau en trois zones d’inégale densité.
À gauche, l’étendue d’eau dialogue avec les reflets bleus du ciel.
À droite, la verticalité du tronc envahit la toile.
Au milieu, la présence du corps évoque à la fois l’abandon et le repli.
Ce partage suggère une opposition entre deux aspects de la nature, l’une riante et ouverte sur le ciel, l’autre commandée par la rigidité des troncs et l’obscurité de la forêt. Au centre, la dormeuse devient un symbole de l’humanité tout entière, suspendue un bref instant entre bonheur et dureté.
La matière picturale est vibrante, mais contenue.
Berdal use de touches légères, parfois fragmentées, pour restituer l’éclat d’un après-midi d’été. La lumière emplit les jaunes et les verts de la berge. Au jaune rosé du sable répondent les bleus du lac. L’artiste a banni de sa toile tout effet spectaculaire, pour se concentrer sur un rendu précis et tout en retenue, qui renforce  le pouvoir évocateur de la scène.
Ce tableau évoque une présence suspendue, un moment saisi dans son instantanéité.

Un peu plus sur cet artiste peintre

Alex Berdal est un artiste plasticien français, peintre et sculpteur, né le 9 juin 1945 à Perpignan.
Il se forme aux Beaux-Arts de Paris, où il développe très vite une perception très originale des volumes picturaux, à la fois présents et à la limite de la réalité.
Il participe au concours du Prix de Rome en 1968, sur le thème du Jardin des délices et il est récompensé par le Second deuxième Grand prix de Rome.
Lauréat du Grand Prix International du Prince Rainier III de Monaco en 1969, pensionnaire de la Casa de Velázquez en 1971, Alex Berdal continue à explorer la géométrisation des formes, jouant sur la proximité des plans et sur l’ouverture de l’espace.
Il expose dans les grands salons parisiens, salon d’Automne, salon des Artistes Français, salon des peintres, témoins de leur temps, tout en approfondissant sa démarche.
En 1970, une exposition au Japon est suivie, en 1974, par la présentation de ses œuvres à l’Orangerie du Sénat. En 1975, une tournée d’expositions montre son travail en Russie (Moscou et Leningrad).
La médaille d’or du Salon des Artistes Français lui est décernée en 1978 et l’année suivante, le prix Taylor, au Salon d’Automne, récompense l’ensemble de son travail.
Berdal bâtit ses toiles par couches superposées, jouant sur la densité de la couche picturale, en opposition avec la sobriété des volumes. Ses formes sont souvent enfouies dans la pâte, les silhouettes sont suggérées. Ses sujets, particulièrement dans ses natures mortes, semblent émerger lentement, comme un souvenir affleurant la toile.
Peu à peu, Berdal se tourne de plus en plus vers la sculpture, qu’il voit comme un aboutissement de son œuvre peint.
Alex Berdal décède en 2010. Il est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris, où sa tombe ne laisse pas indifférente.
Elle est ornée d’une de ses sculptures, Poisson-Sirène.
Ses œuvres figurent dans les collections du FNAC, du musée d’art moderne de la Ville de Paris, du musée de Fontainebleau et du musée d’Art Moderne de Téhéran.