Poésie du mardi … !!!

 Oceano nox

La grande vague de Kanagawa, Hokusai, 1830

Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ?
Combien ont disparu, dure et triste fortune ?
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis ?

Combien de patrons morts avec leurs équipages ?
L’ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée,
Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée ;
L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots !

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus
Oh ! que de vieux parents qui n’avaient plus qu’un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !

On demande  » Où sont-ils ? Sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont’ ils délaissés pour un bord plus fertile ?  »
Puis, votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire.
Le temps qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli

On s’entretient de vous parfois dans les veillées,
Maint joyeux cercle, assis sur les ancres rouillées,
Mêle encore quelque temps vos noms d’ombre couverts,
Aux rires, aux refrains, aux récits d’aventures,
Aux baisers qu’on dérobe à vos belles futures
Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L’un n’a-t-il pas sa barque et l’autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l’orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encore de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur !

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont !

Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots ! que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir, quand vous venez vers nous…

Victor Hugo, paru en 1840 dans le recueil Les Rayons et les Ombres.


Victor Hugo a choisi d’intituler son poème « Oceano nox » pour montrer que l’océan apporte le malheur à l’homme. En effet la nuit symbolise la noirceur, le malheur. Le face-à-face entre l’océan et l’homme ne peut aboutir qu’à sa destruction.

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

19 réflexions sur « Poésie du mardi … !!! »

  1. J’aime énormément ce poème, un morceau de bravoure de notre littérature
    Un monde où la beauté et l’effroi s’entremêlent
    Il est magnifique ce poème, merci de ce choix ma Zaza
    Gros bisous et pensées d’amitié qui nous emmènent en des contrées fantasmagoriques…
    Cendrine

  2. Cauchemar décrit avec tellement de talent et de sensibilité. Lorsqu’il y a combat avec la nature, l’homme est rarement gagnant.

  3. Je ne le connaissais pas aussi long ce poème.
    Tout y est dans cette dure réalité marine.
    Bises de Mireille du sablon

  4. Coucou Zaza, un très beau poème que j’avais appris au collège, il illustre bien ton billet d’avant bisous MTH

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