Le poème du grand-oncle – 2/2 … !!!

Le nord du Finistère au même niveau des Monts d’Arrée bénéficie d’un climat un peu plus humide mais moins froid que celui des Côtes d’Armor.

Petite précision : Eu égard certains commentaires, même si mon héroïne s’appelle Anne, il ne s’agit pas de mon autobiographie. Par contre, cette histoire, légèrement romancée, est arrivée à l’une de mes camarades de classe, dans mon année de 6ème, lorsque je fréquentais le lycée Le Dantec de Lannion, quand mes parents travaillaient au C.N.ET.

Pour faciliter mon intégration dans le village, l’oncle Louis avait décidé de m’inscrire à la petite troupe de théâtre amateur de la commune, et ce, bien que celle-ci soit dirigée par une des membres du conseil municipal dont il ne partageait pas les opinions politiques.

Bien évidemment j’y retrouvais Antoinette, qui ne manquait pas de nous amener de temps en temps quelques croissants, Pauline, et Stéphanie, et puis, et puis il y avait Ewen… !!!
Ewen et ses cheveux roux, son sourire de lumière.
Il avait un visage qui transpirait la douceur. Sa voix, reflet d’une brise d’été.

Ewen que je ne peux décrire car les mots que je voudrais employer n’ont pas encore été inventés.
Ewen s’appelait de son nom complet, Ewen Fournier.
Il était ce que les gens d’ici appellent un breton d’adoption. En fait, il était arrivé à Plouigneau trois ans plus tôt car son père avait été nommé Directeur de l’école publique Jean Jaurès à Morlaix, rue Eugène Pottier, à proximité maintenant de la M.J.C.
Il était très dur de s’intégrer dans cette partie de la Bretagne. Les parents d’Ewen ne comptaient guère d’amis, et le pauvre garçon se retrouvait du coup, dans la même situation !
C’est sans doute notre isolement commun qui nous a rapprochés.
C’est bête, mais je me souviens qu’un soir, seul dans mon lit, j’ai remercié Dieu de ne pas m’avoir fait naître à Plouigneau.
Et puis Chipie était en admiration devant Ewen, elle adorait se frotter contre ses jambes et lui, il adorait lui grattouiller le menton. Décidément, cette chatte ne se trompait jamais sur le caractère des humains.
Mais ainsi va la vie ! Un beau jour elle s’enfuit. Je savais que Chipie n’était pas immortelle, mais pas au point d’imaginer que sa vie se serait arrêtée pour elle, sous les roues de la 4 chevaux de l’oncle Louis, par une belle matinée du mois de Juillet !

Nous avons enterré Chipie dans le fond du jardin, près de la petite cabane « au fond du jardin », histoire d’avoir une petite pensée pour elle plusieurs fois par jour.
La mémoire est décidément capricieuse car je m’en souviens comme si c’était hier.
J’ai pleuré, oh oui, comme j’ai pleuré ! J’ai tellement pleuré que mes glandes lacrymales ont dû en être asséchées. Mais pleurais-je pour Chipie ou pour mes parents ? Je ne sais plus, mes pensées me jouaient des tours. Des flashs jaillissaient de ma mémoire venant tout emmêler.
Mon esprit ressemblait à une partie inexplorée de la forêt vierge brésilienne, et j’essayais tant bien que mal d’avancer.
Ce matin-là, l’oncle Louis me prit la main, comme s’il voulait se faire pardonner.
Mais lui pardonner de quoi ? Je ne lui en voulais pas. Je savais bien qu’il ne l’avait pas fait exprès, que ce n’était pas sa faute.
Plus les jours passaient et plus l’oncle Louis se déridait. Il n’arrêtait pas de dire que j’avais apporté la gaieté dans ce vieux presbytère aussi froid que lui. Je ne comprenais pas toujours tout ce qu’il disait, mais cela me faisait plaisir de le voir sourire.
Je grandissais, tout comme Ewen ! Notre amitié ne souffrait pas du poids des années.
Nous nous retrouvions à la stèle de l’âge du Fer de Pleulven.

Nous adorions nous promener dans les chemins creux et dans les champs.
Et l’été, quand le temps le permettait, nous partions à vélo passer nos après-midi sur la plage de Locquirec.
L’eau n’était pas très chaude, mais nous ne nous en soucions guère. Nous étions ensemble et c’est tout ce qui nous importait.

Par contre, l’oncle Louis n’était pas du même avis !
En fin d’après-midi quand je rentrais plus tard que le 18h50, synonyme de repas du soir, j’avais droit à un bon savon et au sermon.
– « Anne!!!, c’est à cette heure-ci que tu rentres ? » me disait-il comme s’il ne le savait pas.
– « Pardonne-moi, oncle Louis, je n’ai pas vu l’heure. » lui répondais-je timidement.
– « Tu n’as pas vu l’heure, tu n’as pas vu l’heure. Tu crois que c’est une réponse ça. Quand il s’agit d’aller rejoindre tes amis, tu la vois bien l’heure pourtant. »
Je ne disais rien. J’avais appris à connaître l’oncle Louis. Je savais qu’il suffisait de laisser passer l’orage. Et surtout, surtout, ne jamais répondre pour ne pas le contrarier.
– « Tu sais comment on t’appelle dans le village ? Non ? Tu ne sais pas ? On t’appelle la fille du prêtre. Bon, je te l’accorde, quelque part ce n’est pas pour me déplaire. Mais tu crois que ça me fait plaisir d’entendre que la fille du prêtre passe ses après-midi avec le fils du diable. Ah, seigneur Jésus, mais pourquoi a-t-il fallu qu’elle rencontre ce mécréant. Non seulement il va à l’école du diable, mais en plus c’est le fils du cornu personnifié. »
J’avais droit à chaque repas au couplet sur l’école libre et l’école du diable. L’école des vraies valeurs et l’école de la décadence. Tout cela ne m’importait guère et je le laissais dire et faire.
Je ne pouvais tout de même pas lui dire qu’Ewen lisait et écrivait beaucoup mieux que moi et que, bien qu’il ne connaissait pas un mot de latin, son anglais possédait un bien meilleur accent que le mien.
Mais, comme au B.E.P.C. l’épreuve d’anglais se passe à l’écrit, c’est pleine d’espoir que je suis montée dans la voiture de l’oncle Louis pour nous rendre à Morlaix voir les panneaux des résultats.

La vieille 4 chevaux avait rendu l’âme.
L’oncle Louis avait dû se résoudre à la remplacer par une Citroën Visa, presque aussi neuve que lui. Pas un son n’était sorti de sa bouche de tout le trajet.
Visiblement, il était plus inquiet que moi. Et c’est le cœur meurtri qu’il dû se contraindre à se garer juste derrière la superbe Ford Sierra d’Albert Fournier, le père d’Ewen.
Pour une fois ils furent tous les deux traités de la même façon !
Ni l’un, ni l’autre, n’avaient appréciés qu’on leur demande d’attendre dans la voiture pendant que nous allions ensemble consulter les résultats.

Les noms de Le Guouarec et de Fournier étaient très proches sur la liste alphabétique.
Cependant nous avons attendu d’être assurés que nos deux noms s’y trouvaient bien avant de laisser exploser notre joie.
Ewen se jeta à mon cou, et m’embrassa, pour la première fois. J’étais la fille la plus heureuse de la terre. Pas tellement parce que j’avais obtenu un diplôme, mais surtout parce qu’il m’avait permis de connaître mes premiers émois.
Nos lèvres se séparèrent. Nos regards ne pouvaient plus se quitter. Puis nos bouches se sont rapprochées de nouveau, pour un nouveau baiser, plus long, plus doux, plus tendre.

Tendres, ce n’était pas vraiment la définition des mots de l’oncle Louis dans la voiture sur le chemin du retour.
Certes il m’avait félicitée pour l’obtention de mon diplôme, mais il n’avait pas vraiment apprécié la scène qui s’était déroulée devant ses yeux.
Je sus le lendemain que la réaction ne fut pas plus enthousiaste dans la voiture du père d’Ewen.
L’oncle Louis ne voyait plus qu’une issue possible :
M’inscrire à la rentrée suivante au Lycée Notre dame du Mur – Le Porsmeur de Morlaix au 19 rue Poulfranc, afin de me remettre les idées en place. Et comme de bien entendu, il avait pensé à une inscription en tant qu’interne.

Aujourd’hui, ce lycée  bien changé.
Sans le savoir, il déclencha chez moi le goût de la lecture et….de l’écriture.
J’avais établi secrètement une correspondance avec Ewen. Il m’écrivait au Lycée en mettant au dos de l’enveloppe le nom de Jeanne, qui s’était fait notre complice.
Et moi je lui écrivais chez Lénaïg Le Lemerer, sa meilleure amie. Il l’avait connue au lycée de son père où elle se trouvait dorénavant.
Nos échanges épistolaires étaient de plus en plus enflammés.
C’est à cette époque que j’ai commencé à écrire des poèmes dans la douce lignée de grand-oncle Yann :

« Sous la voûte céleste, lumière d’une nuit d’été
Mon âme solitaire s’est enfin enflammée
Quand nos lèvres se touchant j’ai perdu toute haleine
Et sombré de bonheur dans les tendres bras d’Ewen
Oubliant l’horizon aux fêlures noircies
Mon cœur a vibré de cette douce alchimie
Mon âme s’est envolée rechargeant mes batteries
Et mon corps s’est noyé d’un plaisir tout en harmonie
L’amour, j’ai découvert au premier baiser
Reçu telle une offrande dans un élan émoustillé
Je le conserve au chaud, je l’ai emprisonné
Le bel Ewen dort en moi et pour l’éternité. »

Étant donné que je passais plus de temps à écrire qu’à compter, je me suis retrouvée le plus logiquement du monde dans une filière littéraire, tandis qu’Ewen poursuivait de brillantes études scientifiques.
Les trois années qui nous séparèrent du Baccalauréat furent les plus longues de mon existence.
Fort heureusement, les week-ends et les vacances n’en étaient que plus agréables.
Bien sûr, la baie de Morlaix et la campagne environnante nous offraient de merveilleux moments.

 La penzée

La plage du Clouët – Catantec

La plage du Penker – Carantec

Quand nous nous sommes retrouvés l’un et l’autre devant la liste des reçus, je ne pouvais m’empêcher de repenser à ce premier baiser, bien que nous ayons dépassé ce stade depuis fort longtemps !

Nous étions reçus !

C’était la fin des privations. Le début de la liberté.
C’était l’entrée en faculté, et dans la capitale de la Bretagne, Roazhon.

Le père d’Ewen s’était fait une raison.
Pour le Père Louis, ce n’était que déraison.  Il entonna une prière qui ressemblait à un exorcisme !

« Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat, soyez notre secours contre la malice et les embûches du démon. Que Dieu lui fasse sentir Son Empire, nous vous en supplions! Et Vous, Prince de la Milice Céleste, précipitez en enfer, par la Force Divine, Satan et les autres esprits mauvais qui rôdent dans le monde pour la perte des âmes ! Amen.
Marie, Reine des Saints Anges – Priez pour nous !  » …

… Après la fin de nos études supérieures, notre belle aventure aboutit tout naturellement à un mariage par un beau matin du mois de mai 1976.
Il fut non seulement civil, mais aussi religieux, et l’oncle Louis finit par oublier que la fille du prêtre vivait dans le pêché …

… Et comment pourrait-il en être autrement quand je vois notre brave Jeanne tenir dans ses bras ce petit bout de Yannig.
L’oncle Louis contemplant le spectacle, regarde cet enfant tendrement, lui qui bien qu’étant Père n’aurait jamais pensé qu’un jour il pourrait être « grand-père » !

Il avança vers Jeanne, caressa la main de Yaning avec une tendresse infinie.
Yannig referma sa menotte replète sur son index. Une larme perla sur la joue de Louis.

Je retourne la feuille de mes dix doigts et je relis silencieusement :

« La descendance et la naissance d’un enfant
Tisse les liens familiaux et apporte un cœur aux parents,
Révèle responsabilité et sagesse des grands,
Donne un sens à la vie des errants,
Tout en cultivant une mémoire d’éléphant. »

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

29 réflexions sur « Le poème du grand-oncle – 2/2 … !!! »

  1. Quel magnifique récit, j’ai vu danser les mots en images dans ma tête et mon coeur s’est emballé à l’évocation de ce premier baiser qui a initié tant de choses entre les deux tourtereaux :)
    C’est la transmission qui m’a profondément touchée aussi
    Nous sommes riches de nos histoires, de nos mémoires et au fond, nos vies entrent bien plus souvent en résonance que nous ne pourrions le penser…
    Magnifique récit disais-je… je le pense ardemment,
    Merci!!!
    Gros bisous pleins de tendresse et merci de tes amicales pensées
    Cendrine

  2. ..une histoire qui se termine bien et pas seulement…les mentalités ont changé.. leur bonheur continue encore aujourd’hui grâce à ce petit bout …Bienvenue à Yannig!
    Bises du jour
    Mireille du sablon

  3. Beau récit. Zaza. C’est du vécu ; c’est plus intéressant que les conneries de la télévision. Ca ressemble aux écrits du blog de Farfadet 86. Même époque. Même histoires vécues.

  4. Récit qui nous permet sous la plume de mame Zaza de découvrir un pan de notre histoire et des moeurs d’une époque révolue. La guéguerre entre les écoles.
    Mais aussi plein de tendresse quand l’arrivée de cette adolescente va attendrir petit à petit le coeur un peu sec de l’oncle Louis.
    Et bien sûr
    « Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille
    Applaudit à grands cris.
    Son doux regard qui brille
    Fait briller tous les yeux,
    Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
    Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,
    Innocent et joyeux. »
    Victor Hugo
    Bisous et belle journée

  5. bonjour Zaza,
    Eh oui, superbe suite ou l’on peuvent voir que même sans avoir le même opinion ( Laique et Libre) Au fil du temps les désaccords finissent par faire corps devant cette bien fin …..et ils eurent beaucoup d’enfants
    Merci pour ce magnifique récit Breton
    bonne fin de journée
    Amitiés

  6. C’est magnifique, des histoires comme on en voit dans les livres. Ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants.
    Un souvenir m’est revenu; j’étais encore au lycée en internat lorsque j’ai rencontré mon mari et pareil il m’écrivait en notant un nom de fille au dos de l’enveloppe!!! (les bonnes sœurs pouvaient ouvrir le courrier)
    belle journée

  7. Désolée d’avoir mal interprété hier Zaza, en plus ça me revient maintenant mais tu nous as parlé de ta maman à plusieurs reprises, j’étais trop partie dans l’histoire !
    Une très belle fin, merci pour cette belle histoire Zaza
    Bisous et douce journée

  8. Une tres belle histoire Zaza et merci pour le clin d’oeil aux lieux qui ne me sont pas étrangers . Une opposition au niveau des écoles laïques et religieuses, longtemps de mise heureusement elle s’est estompée depuis .
    Bonne journée
    Bises

  9. une histoire qui finit très bien, il suffit de rencontrer les bonnes personnes!
    J’espère qu’ils auront d’autres enfants.
    Très belle journée
    bises

  10. Bonjour Zaza.
    Chez nous il fait plutôt froid et ça nous évite d’avoir de la neige.
    Depuis quelques années il neige de moins en moins et pourtant nous sommes en plein coeur des Alpes.
    Moi, ça m’arrange car ça m’évite la corvée de déneigement.
    J’espère que chez toi ça va mieux point de vue temps.
    Je te souhaite une bonne journée.
    Bisous de nous deux.

  11. elle est merveilleuse ton histoire chere Zaza, tres touchante et bravo pour les vers terminaux ! ah les bagarres entre ecole libre et laïque ont engendré de nombreuse disputes, je pense que c’est fini, peut etre pas en Bretagne ? bonne soiree bisous

  12. Une superbe histoire Zaza, que j’ai eu grand plaisir à lire jusqu’au dernier mot… du joli poème final.
    Bonne soirée, (plutôt très-très ventée déjà ici depuis plusieurs jours) gros bisous!

    -ps : Pour la prochaine de MCO du 16 février(306) Renée m’a proposé un thème, elle te l’a peut-être dit?
    sinon voilà mon lien pour demain : http://frambie.eklablog.fr/art-peinture-305-a158494984
    bisoussssss

  13. Enfin une histoire qui se termine dans la joie et l’amour surtout. Ah!!!! Souvenirs, souvenirs…
    *Gros bisous ma Zaza et douce journée pour toi

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