En souvenir de notre Lady … !!!

Le Meunier, son fils, et l’Âne

L’invention des Arts étant un droit d’aînesse,
Nous devons l’Apologue à l’ancienne Grèce.
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n’y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes.
Tous les jours nos Auteurs y font des découvertes.
Je t’en veux dire un trait assez bien inventé ;
Autrefois à Racan Malherbe l’a conté.
Ces deux rivaux d’Horace, héritiers de sa Lyre,
Disciples d’Apollon, nos Maîtres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins
(Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins),
Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ses degrés avez déjà passé,
Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé,
A quoi me résoudrai-je ? Il est temps que j’y pense.
Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance.
Dois-je dans la Province établir mon séjour,
Prendre emploi dans l’Armée, ou bien charge à la Cour ?
Tout au monde est mêlé d’amertume et de charmes.
La guerre a ses douceurs, l’Hymen a ses alarmes.
Si je suivais mon goût, je saurais où buter ;
Mais j’ai les miens, la cour, le peuple à contenter.
Malherbe là-dessus : Contenter tout le monde !
Ecoutez ce récit avant que je réponde.

J’ai lu dans quelque endroit qu’un Meunier et son fils,
L’un vieillard, l’autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j’ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur Ane, un certain jour de foire.
Afin qu’il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit ;
Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre.
Le premier qui les vit de rire s’éclata.
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là ?
Le plus âne des trois n’est pas celui qu’on pense.
Le Meunier à ces mots connaît son ignorance ;
Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.
L’Ane, qui goûtait fort l’autre façon d’aller,
Se plaint en son patois. Le Meunier n’en a cure.
Il fait monter son fils, il suit, et d’aventure
Passent trois bons Marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s’écria tant qu’il put :
Oh là ! oh ! descendez, que l’on ne vous le dise,
Jeune homme, qui menez Laquais à barbe grise.
C’était à vous de suivre, au vieillard de monter.
– Messieurs, dit le Meunier, il vous faut contenter.
L’enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte,
Quand trois filles passant, l’une dit : C’est grand’honte
Qu’il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,
Tandis que ce nigaud, comme un Evêque assis,
Fait le veau sur son Ane, et pense être bien sage.
– Il n’est, dit le Meunier, plus de Veaux à mon âge :
Passez votre chemin, la fille, et m’en croyez.
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L’homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser. L’un dit : Ces gens sont fous,
Le Baudet n’en peut plus ; il mourra sous leurs coups.
Hé quoi ! charger ainsi cette pauvre bourrique !
N’ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ?
Sans doute qu’à la Foire ils vont vendre sa peau.
– Parbleu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.
Essayons toutefois, si par quelque manière
Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux.
L’Ane, se prélassant, marche seul devant eux.
Un quidam les rencontre, et dit : Est-ce la mode
Que Baudet aille à l’aise, et Meunier s’incommode ?
Qui de l’âne ou du maître est fait pour se lasser ?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.
Ils usent leurs souliers, et conservent leur Ane.
Nicolas au rebours, car, quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa bête ; et la chanson le dit.
Beau trio de Baudets ! Le Meunier repartit :
Je suis Ane, il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue ;
Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien ;
J’en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez Mars, ou l’Amour, ou le Prince ;
Allez, venez, courez ; demeurez en Province ;
Prenez femme, Abbaye, Emploi, Gouvernement :
Les gens en parleront, n’en doutez nullement.

Jean de La Fontaine – 1621 – 1695

« Le meunier, son fils et l’âne » est certainement une fable écrite très tôt par La.Fontaine, peut-être une vingtaine d’années avant la publication du premier recueil.
Cette histoire figure dans les « Mémoires » de Racan qui l’a reçue de Malherbe, qui l’avait lui-même puisée dans les ouvrages italiens (Le Pogge, Faërne, parus au 16ème siècle) et qui vient certainement d’Esope.
La Fontaine dédie cette fable à son ami de toujours : François de Maucroix.
Ils étaient aussi hésitants l’un que l’autre quant au choix de leur carrière. La Fontaine, après un an à l’Oratoire, s’était dirigé vers le droit, puis s’était marié, devant l’insistance de son père.
Maucroix, avocat, avait raté sa vie sentimentale après un impossible amour avec Mlle de Joyeuse.
Il allait devenir chanoine à Reims ; c’est certainement à cette époque que la fable a été écrite (vers 1647).
La première fable du livre II : « Contre ceux qui ont le goût difficile » et celle-ci se font un peu écho dans le sens où toutes deux parlent de la difficulté à contenter tout le monde…
La morale de notre Fable n’est pas qu’il faut toujours n’en faire qu’à sa tête, cependant il faut parfois faire un choix et ce choix sera forcément discuté par d’autres. Alors autant l’assumer, plutôt que de tenter de satisfaire toujours les autres, ce qui est impossible comme on le voit dans cette Fable.

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

17 réflexions sur « En souvenir de notre Lady … !!! »

  1. C’est bien vrai qu’on ne peut contenter tout le monde; alors il vaut mieux faire comme on le sent! Les fables sont toujours d’actualité. Bonne journée

  2. C’est une fable que j’aime beaucoup…
    Une morale à appliquer, tu as raison, car on ne peut pas satisfaire tout le monde.
    Il vaut mieux faire en sorte de ne blesser personne, même si ce n’est pas facile non plus. ;)
    Gros bisous et douce journée. Merci pour tout.

  3. Une fable qui montre bien comment on ne peut plaire à tout le monde , Monsieur de La Fontaine excelle dans l’art de la fable et de sa morale
    Merci pour ce choix .
    Bonne journée
    Bises

  4. Merci Zaza car cette fable je ne me souviens pas l’avoir jamais lue. Ou alors j’ai complètement oublié parce qu’à l’école elle a du figurer quand même…Bisous

  5. excellente fable de La Fontaine , quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise, quelqu’un aura toujours à y redire ! bonne soiree chere Zaza grosses bises

  6. Un immense plaisir de retrouver Mr de La Fontaine et son sens de l’écriture, sa lucidité, sa truculence
    Merci pour ce choix ma Zaza, j’ai beaucoup aimé, gros bisous sans oublier ton Poux Ronchon
    Cendrine

  7. une belle fable ; à un certain moment, ne plus suivre tous les conseils de gens qui n’ont pas la même façon de voir, ressentir. Merci pour la fable et les explications.
    Bises

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