Le roi de Dalmar … !!! 3/3

Extraits des Contes Populaires de Basse Bretagne

9782737340895
Rèd ê ma ouefac’h
Penaoz eur veach.

Il faut que vous sachiez
Comment une fois.

Ils arrivèrent ainsi sur les bords d’un grand étang, où ils aperçurent un homme sur le point de se noyer et qui criait, à faire pitié :

— « Au secours ! Au secours ! Je me noie !… »

Le prince voulait se jeter à l’eau, pour sauver cet homme. Le valet eut toutes les peines du monde à l’en empêcher. Il s’avança jusqu’au bord de l’étang, et, avec sa baguette, il se mit à frapper sur la tête de l’homme qui réclamait du secours, jusqu’à ce qu’il disparût sous l’eau.
— « Méchant ! » Lui dirent le prince et la princesse; « vous avez fait mourir cet homme, lorsque vous pouviez le sauver. »

Mais, le valet s’inquiéta peu de ce reproche, et ils continuèrent leur route. Ils approchaient du Palais. Le valet, qui avait un pantalon, comme nous l’avons vu ci-dessus, précéda ses deux compagnons dans la ville, et leur apporta des vêtements.

Alors, ils purent se montrer décemment, et ils firent tous les trois ensemble leur entrée dans le palais du roi.

Le vieux monarque,

qui croyait son fils mort, célébra son retour par des réjouissances publiques. Quelque temps après, le prince se maria à la fille du roi Dalmar, et il y eut encore des festins et des fêtes magnifiques.

Neuf ou dix mois après leur mariage, il leur naquit un fils, qui mit le comble à leur bonheur. Le prince avait conservé son fidèle serviteur, et souvent, ils parlaient ensemble de leur voyage au château du roi Dalmar et de leurs aventures extraordinaires.

Il était fort intrigué de savoir comment il avait pu les faire sortir sans mal de tous les mauvais pas où ils s’étaient trouvés, et il l’interrogeait souvent à ce sujet.
— « Je vous le dirai », répondait le valet à ses instances, « mais, seulement quand le moment en sera venu; je ne puis le faire, à présent. »

Le désir et la curiosité du prince ne faisaient que s’accroître de cette résistance, et il le pressait de plus en plus; mais, toujours en vain. Enfin, un jour, il entra dans la chambre du valet, comme un furieux, son sabre à la main, et en criant :
— « Il faut que tu me dises ton secret, ou je te tue à l’instant ! »

— « Je vous le dirai, mon maître, puisque vous l’ordonnez ; mais, vous le regretterez, plus tard. »
— « Parle, te dis-je, ou prépare-toi à mourir ». Et il brandissait son grand sabre au-dessus de sa tête.
— « Vous rappelez-vous », dit le fidèle serviteur, résigné, « qu’en nous rendant au château du roi Dalmar, nous couchâmes dans un bois, où la nuit nous surprit ? »
— « Oui, je me rappelle », répondit le prince.
— « Vous passâtes la nuit dans votre carrosse; mais, moi, je la passai couché sur la mousse et la fougère, au pied d’un vieil arbre. Vers minuit, je fus réveillé en entendant causer sur cet arbre; il y avait là-haut trois personnages, qui me font tout l’effet d’être des korrigans. L’un des trois, ne me sachant pas là, sans doute, apprit aux deux autres notre présence dans le bois, le but de notre voyage et tout ce qu’il fallait faire pour le mener à bonne fin. »

Déjà les pieds du fidèle serviteur étaient devenus de marbre.

Son maître le vit bien, mais il le laissa continuer ainsi :
— « Au retour, nous passâmes encore la nuit dans le même bois, la princesse et vous, dans le carrosse, et moi, sous le même arbre. Les mêmes personnages arrivèrent encore, à minuit, sur l’arbre, et j’appris de la même manière tout ce qu’il fallait faire, dans la seconde partie du voyage, pour arriver avec la princesse au palais de votre père. »

Le prince, voyant son fidèle serviteur déjà changé en marbre, jusqu’à la ceinture, s’écria enfin :
— « Assez ! Assez ! Ne va pas plus loin ! »
— « Non, il faut que j’aille jusqu’au bout, puisque j’ai commencé. Je ne devais pas vous révéler ce secret, sous peine d’être changé en statue de marbre. Vous m’avez ordonné de parler; vous êtes mon maître, je vous ai obéi; vous savez tout à présent, et la prédiction est accomplie. »

Et en effet, le fidèle serviteur était maintenant une statue de marbre, des pieds à la tête. Les derniers mots qu’il prononça furent ceux-ci :
— « C’en est fait de moi, à présent; je vais brûler dans le feu de l’enfer, et vous-même vous y viendrez me rejoindre, si vous ne rachetez pas votre faute ! »

Le prince était inconsolable du malheur de son fidèle serviteur. Il était devenu triste, taciturne, il fuyait la société, et on le surprenait souvent pleurant. Personne, même sa femme, ne soupçonnait la cause d’un changement si complet.

Son vieux père lui demanda un jour :
— « Où est donc ton fidèle serviteur, que tu aimais tant ? Je ne le vois plus, depuis quelque temps. »

Le prince garda le silence.
— « Prends garde de l’avoir fait mourir. »
— « Non, mon père, rassurez-vous, je ne l’ai pas fait mourir. »

Il rêvait constamment aux moyens de le délivrer. Mais, comment s’y prendre ? Qui le conseillerait ? Après avoir consulté vainement un grand nombre de savants, de magiciens et de sorciers, l’idée lui vint d’aller passer encore une nuit, dans la forêt où ils en avaient déjà passé deux.

Il partit, un matin, dans son carrosse, sans dire à personne où il allait, et se rendit à la forêt. Il reconnut facilement l’endroit, et il se coucha sous l’arbre, comme son vieux serviteur; mais, il ne dormit pas. 
A minuit, il entendit un grand bruit d’ailes, au-dessus de sa tête, puis une voix qui disait :

— « Eh bien ! camarades, le valet du fils du roi de petite Bretagne, qui avait entendu notre conversation et l’a révélée à son maître, est venu se chauffer chez nous, comme je vous l’avais prédit; et le prince lui-même viendra aussi, je l’espère bien, sans tarder. Il n’y a qu’un moyen pour lui de l’éviter et de délivrer son fidèle serviteur, qu’il regrette tant, à présent. »

Le prince était tout oreille, en ce moment, je vous prie de le croire; l’autre reprit :

— « Il lui faudrait égorger son fils unique, qu’il aime tant, pendant la grand’messe, en recueillir tout le sang, dans un vase, arroser la statue de marbre, qui fut son serviteur, avec ce sang, puis, remettre ce même sang dans la bouche de l’enfant, et le coucher dans son berceau. La statue se ranimerait peu à peu, à mesure qu’on l’arroserait de sang, et, avant la fin de la grand’messe, le valet du prince serait complètement revenu à son premier état; l’enfant lui-même ressusciterait, peu après, et se retrouverait aussi sain et aussi bien portant que devant. Voilà ce qu’il lui faudrait faire; mais, comment pensez-vous que l’idée ne puisse jamais lui en venir ? »

Le jour commença à poindre, en ce moment, et les hôtes de l’arbre s’envolèrent, avec un grand bruit d’ailes. Le prince n’avait pas perdu un mot de tout ce qui s’était dit. Il revint au palais, un peu moins triste, et plein d’espoir. Le dimanche qui suivit, il dit à tout son monde d’aller à la grand’messe, et de le laisser seul. Tout le monde partit, et il resta absolument seul dans le palais. Quand il entendit les cloches qui annonçaient que la grand’messe allait commencer, il prit un couteau et s’avança résolument vers le berceau où dormait son enfant.
Mais, le courage lui manqua, au moment de frapper, et il recula d’horreur et se mit à pleurer.
Il revint, un moment après, plus résolu; il détourna la tête et frappa.

couteau

Le sang jaillit aussitôt. Il le recueillit dans un vase et courut à la statue de marbre et se mit à la frotter avec le sang de son enfant, encore chaud. Et à mesure qu’il la frottait, il voyait le marbre qui se ranimait sensiblement, et, au moment où la messe finissait, la statue marcha et le fidèle serviteur parla ainsi à son maître :
— « Ah ! Mon pauvre maître, que j’ai eu chaud, depuis ! On m’avait bien dit que j’aurais chaud, un jour, si je révélais le secret; et l’on n’avait pas menti. Vous-même, vous auriez eu le même sort, si vous ne vous étiez comporté comme vous l’avez fait ! Mais, ne perdez pas de temps; remettez le sang dans la bouche de votre enfant, et soyez sans inquiétude. »

Le prince s’empressa de remettre le sang dans la bouche de l’enfant; mais, malgré tout, il n’était pas sans inquiétude.  Joyeux tout de même d’avoir retrouvé son valet, il trinqua à son retour. Peu après, les gens du palais rentrèrent de la grand’messe. On se mit à table, à l’heure ordinaire.

La princesse et le vieux roi furent surpris et heureux de revoir leur fidèle serviteur. Cependant, ils étaient étonnés de voir le prince plus soucieux que d’ordinaire.
— « Où est l’enfant ? » demanda la princesse.
— « Il est dans son berceau, et il dort bien », répondit-il.

Un instant après, ayant entendu un cri, comme d’un enfant qui se réveille, il se leva de table, courut à l’appartement où était son fils, et rentra aussitôt en le tenant dans ses bras, bien éveillé et souriant à sa mère. Puis il conta tout, et le sujet de sa douleur, et le motif de son dernier voyage, et la manière dont il avait délivré son fidèle serviteur.

Il y eut alors de grandes fêtes et des festins magnifiques, au palais.

Moi-même, je pus me glisser, parmi la foule des serviteurs, jusqu’à la cuisine. 

ct_louche

Mais, comme je trempais mon doigt dans toutes les sauces, le maître cuisinier, qui m’aperçut, me donna un grand coup de pied, où vous savez bien, et me lança jusqu’ici pour vous narrer ce conte.

Conté par Jean le Person.
Cordonnier au bourg de Plouaret.
Novembre 1869.

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

19 réflexions sur « Le roi de Dalmar … !!! 3/3 »

  1. Oulàlà c’est toujours atrocement conflictuel ces destins uniques… mais bon tout fini toujours bien alors on s’y fait.
    Merci Zaza de nous faire découvrir toutes ces légendes. Bisous

  2. Ouf!!!! j’ai eu chaud!!!! Quelle histoire merveilleuse tu nous as conté là!!! J’ai adoré mais j’ai été effrayée par la vue de tout ce sang… Quelle horreur!. Oui, je sais, ce n’est qu’un conte. Gros bisous, ma bichette, et belle journée

  3. Je comprends mieux maintenant que pour avoir une chose, il faut qu’elle ne soit pas réclamée un an et un jour après sa disparition.
    Et pour le fils, style Caïn et Abel, peut être.
    En tous les cas, j’ai été bien tenu en haleine par ton récit.
    Bises estivales. yann

  4. Merci pour ce conte qui est vraiment superbe , m’étonne pas que je n’ai pas trop dormi quand ma voiture était en panne dans les monts d’Arrée …
    Bonne soirée
    Bisous

  5. Ouf, l’histoire finit bien… Mais si tu savais comme j’ai eu peur pour l’enfant !
    Merci de si bien choisir les contes, Zaza.
    Bisous et douce journée.

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