Défi d’écriture NR 71 chez Ghislaine … !!!

défi écriture chez Ghislaine

Reprise de l’atelier écriture après la pause. ICI

Les consignes !
Composer un texte avec des mots commençant par U, au moins 5

Et, ou
8 mots: « avenant, mairie, milieu, rigide, prier, reporter, quitter, vivre. »

– « Je serai quand même bientôt tout à fait mort… Enfin ! »

Le désespoir de la vie transgressait à travers chacun de ses mots. L’infirmier à son chevet, qui jusque-là n’avait fait aucun geste, fronça les sourcils d’un air désapprobateur.
Il lui tendit un verre d’eau tout en énonçant de son savoir médical :

– « Vous n’allez pas mourir Monsieur Grosmollard, vous avez encore de beaux moments à vivre avant de nous quitter ! »
– « Au diable. Quatre-vingt-neuf putains d’années que je troue la couche d’ozone, je ne soufflerai pas cette nonuple décade. »
– « Mais votre fam… »
– « Vous avez vu quelqu’un s’approcher à moins de dix mètres depuis que je suis ici ? Je suis trop vieux pour avoir des parents hors du cimetière, ma sœur est une connasse rigide qu’il fait bon ne pas rencontrer et jamais une péronnelle ne m’a passé la corde au cou, enfin au doigt, en me traînant devant le maire… »

Mimant la dernière heure d’un pendu, il rigola quand le petit jeune leva les yeux au ciel, mais bien vite une quinte de toux le fit renverser une partie de son verre dans le milieu du lit et lui rappela qu’il n’était plus temps de ces gamineries. Plus que quelques minutes, il la sentait… La fin, bientôt.
Le jeune Yvon, c’était le prénom de l’infirmier, s’avança vers lui et mit la main sur le front. La grimace de Grosmollard fut aussi subtile qu’un coup de pied dans les valseuses. Le jeune Yvon voulait le garder en vie ! Il faisait de son mieux pour reporter l’ultime échéance.

– « Approche p’tit, plus près… Voilà… Je peux maintenant compter les minutes qu’il me reste sur nos deux mains, alors je vais te révéler une chose qui va changer ta vie. Tu… Avant ça, es-tu croyant ? »
– « Croyant ? S’étonna Yvon, n’ayant jamais vu le vieil homme se tourner vers n’importe quelle religion. »
– « Oui, la messe, les rabbins, Shiva et toutes ces conneries qui t’invitent à prier. »
– « Eh bien, j’ai été baptisé, mais je n’ai jamais vraiment cru que… »
– « Bien. Chacun peut croire ce qu’il veut, mais ça va grandement nous faciliter la tâche. Bon, quand tu étais gosse, tu as sans doute entendu parler de l’Enfer et du Paradis… »
– « Oui.»
– « Des conneries. Quand tu meurs, tu meurs. Il ne faut pas essayer de croire qu’un bonhomme du haut de son nuage va trouver ta gueule sympa et te fait monter au ciel. Le seul moyen d’y accéder c’est de bais… »
– « D’accord ! D’accord j’ai compris. Mort c’est mort. Plus rien après. »
– « Est-ce que j’ai dit ça ? »
– « Mais… »
– « Laisse tomber. C’était une mauvaise idée… »

Fatigué, il a clos le débat avant même qu’Yvon ne puisse rechigner. Ses yeux suivirent la bouche de Grosmollard qui s’endormit sans même reposer le verre tenant encore en équilibre sur ses genoux. Quand il rouvrit les yeux, il était seul dans la chambre et le soleil semblait être parti se coucher également. Il restait quelques instants, bercé par le son des machines autour de lui et par le « goutte à goutte » relié à sa veine.
– « Tout ce bordel alors que j’aurais pu être tranquillement chez moi, dans mon fauteuil, siroter une petite bière. »

Le lit vide à sa gauche indiquait que son ancienne colocataire avait fait le grand saut depuis ce matin. Et son heure tardait, … tardait… Il avait bien cru à la fin, tout à l’heure, mais il semblait qu’il était trop pressé. Il repensait à cette Gisèle à côté, si effrayée de partir et de finir dans une urne.
–  « En vérité, les gens ont peur d’être oublié, voilà tout. Comment aurais-je pu avoir peur d’être oublié alors que personne ne me connaissait ? À part Gisèle, pendant six jours. Mais elle était morte, alors ça ne comptait pas vraiment. C’était peut-être pour ça qu’on mettait tous les vieux dans les mêmes chambres : histoire qu’ils partagent leur solitude avant d’y mettre définitivement un terme en ululant. »

Mu par une force qu’il croyait disparue depuis bien longtemps, il ouvrit le tiroir de la table de chevet et sortit une feuille vierge ainsi qu’un stylo plutôt récalcitrant. La feuille pas si vierge, contenait des chiffres et diagrammes biscornus au dos, peut-être un papier important pour ses soins… De toute façon il allait crever, alors qui s’en foutrait ! D’une écriture bancale à cause du manque de support, il griffonnait sur le papier, des pensées sans aucun filtre, comme un avenant reprenant ses derniers conseils pour Yvon.

– « Mourir c’est… c’est franchement la meilleure chose qui puisse t’arriver quand ton corps ne suit pas ton esprit. Faut pas avoir peur de vivre ta vie, mais si tu te trouves dans ma situation, tu vas te fatiguer et ça, crois-en mon expérience, c’est le plus chiant… Autant avoir une putain de bagnole de course et devoir pédaler pour avancer. Ne te fais pas avoir. Personne ne te le dira, car personne n’est jamais revenu pour te le dire, enfin, c’est ce que l’on croit. Ouvre ton esprit gamin ! 
La mort, c’est juste un pont. Oui, un pont, qui part de ta vie et t’amène à une deuxième vie, qui a l’air beaucoup mieux ! Je vérifierai ça bientôt, par moi-même. Ne te demande pas comment, je le sais, ce n’est pas important. Dis-toi simplement qu’avoir peur de la mort c’est stupide et inutile, car au final, tu quittes un monde pourri pour un certainement meilleur.
Je ne vais pas continuer pendant cent ans, bon Dieu ! Je ne voudrais pas rester aussi longtemps en vie… Simplement, je ne te dis pas adieu, mais à plus tard. On se reverra une fois que tu seras mort  dans cet autre univers.
Emile Grosmollard »

Une fois la lettre achevée, il plia la feuille et deux et inscrivis le nom de « Yvon » sur un côté. Un courant d’air glaça la chambre et, se tournant vers la fenêtre, il remarqua que celle-ci était bien fermée. Un sourire passa sur son visage. Il prit le bout de papier entre mes mains et les installa sur son ventre, le corps allongé et droit, puis il inspira profondément et expira.
Pour la dernière fois.

Auteur/autrice : ZAZA-RAMBETTE

Une bête à corne née un 13 AVRIL 1952 Maman et Mère-Grand...! Vous trouverez ici : humour de bon matin, sagas historiques sur ma Bretagne, des contes et légendes, des nouvelles et poèmes, de très belles photographies de paysages et d’animaux, de la musique (une petite préférence pour la musique celte), des articles culturels, et de temps en temps quelques coups de gueules...! Tous droits réservés ©

22 réflexions sur « Défi d’écriture NR 71 chez Ghislaine … !!! »

  1. Impressionnant! Magistral je dirais même…
    Du grand Zaza, direct et brillant
    La Faucheuse, elle viendra… Sauter dans l’inconnu, ce n’est pas ce qui me taraude le plus. Souffrir? Ce n’est pas non plus ce qui me taraude le plus car la souffrance, je la vis de manière chronique avec des moments atroces dans mon corps encore jeune…
    Quand j’étais petite fille et adolescente, j’avais ces « putains » de douleurs névralgiques horribles qui me vrillaient de toute part et je les ai encore… Elles sont en moi, les médecins n’y peuvent rien, je me bats et fais avec…
    Ce qui me trouble, c’est la mort des êtres que j’aime, ça, ça me crève d’avance… Mais tant que la vie est là, vivons la! Vive le Carpe Diem comme on peut! Entre les douleurs, faisons-nous du bien et sans aucun scrupule. Libertinons la vie, elle a tant à nous offrir de jouissances!
    Magnifique texte ma Zaza, je t’embrasse bien fort sans oublier Poux Ronchon
    Cendrine

  2. Une belle histoire à mourir de rire
    Et pour l’octo , que je suis une belle répétition pleine d’humour!
    Ca tu peux le CROIRE😋

    Big bisous

  3. hou la la, il vaudrait mieux se lever un peu plus tard et avoir l’esprit mieux réveillé….je trouve que tu en demande beaucoup…..en tous cas bravo à celles qui pourront te faire un joli texte….douce journée à toi

  4. Je suis à la fois partagée entre le rire et les larmes à lire ton texte d’une telle intensité !
    Des mots qui hélas décrivent si bien cette mort qui nous attends, encore plus
    quand c’est dans la solitude …………
    J’en suis d’autant plus touchée que je viens de vivre un décès(le frere de mon mari)
    qui est mort tout seul chez lui, et à té retrouvé une semaine après car c’était les vacances et sa famille était en vacances, il vivait seul et nous, nous étions la mais on ne se voyait que chaque semaine le dimanche !! On l’ enterré le 3 septembre car il était trop décomposé vu la chaleur ici par chez nous !
    Donc autopsie et comble de malchance il y a eu 5 deces en même temps ce mois d’aout dans la résidence ou nous vivons ! Alors tu vos pourquoi ton texte m’interpelle beaucoup saut que lui n’avait que 65 ans ……….

  5. Et tu nous fais ça en direct, toi? Génial!!!! Tu as une de ces plumes, ma chère Zaza. Tu vois, j’étais déjà partie, moi… Je t’envoie mes plus gros bisous et te souhaite un excellent week-end.♥

  6. Bonjour Zaza, un très beau texte qui ne manque pas d’interpeller les humains que nous sommes. Bravo, c’est très beau avec cette pointe d’ironie telle qu’on fini par sourire malgré nos yeux plein de larmes Bisous MTH

  7. Bonjour Zaza,
    voilà un texte et un défi remportait encore une fois ….mais l’aboutissant n’est pas très gaie .Cela à odeur d’un plumier
    Bonne fin de journée et bon weekend
    Amitiés

  8. Excellent Zaza , quel texte un vrai plaidoyer pour le passage entre les deux mondes quand corps et esprit ne sont plus sur la même longueur d’ondes .
    Bon je vais essayer quand même de ne pas trop me précipiter ….
    Bonne fin de journée
    Bisous

  9. Bonjour Zaza
    Accompagner les patients en fin de vie faisait partie de mon quotidien quand je travaillais et je t’ai lu avec attention
    Bravo pour avoir brillamment relevé le défi
    Bises, bonne journée

  10. ..c’est là la seule « justice », nous partirons tous..enfin pas trop vite quand même!
    Bises du soir
    Mireille du sablon

  11. J’aime cet écrit, même s’il répond à un défi.
    Il fait réfléchir.
    J’aime énormément la lettre qu’il adresse à Yvon.
    Et j’adore ta dernière ligne. Expirer pour la dernière fois, comme s’il avait vécu toutes ses vies, tel le chat dont on raconte qu’il en a neuf.
    Merci pour tout, Zaza.
    Bisous et douce journée.

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